«Les négociations sociales démarreront la semaine prochaine, et nous ne devons pas attendre la fin des sit-in et des grèves pour entamer les investissements ou les programmes de relance économique. Tout doit aller de pair, aussi bien les actions gouvernementales pour la création de l’emploi que la sécurisation du climat des affaires». C’est ainsi que s’est exprimé Khalil Ezzaouia, ministre des Affaires sociales du gouvernement provisoire lors de la conférence organisée mardi 17 janvier 2012 par la Chambre régionale de Tunis des Femmes chefs d’entreprise sous le thème «Renforcement de la contribution des chefs d’entreprise de toutes les régions de la Tunisie à la relance de l’économie nationale».
Une économie qui souffre depuis plus d’une année et pas seulement à cause des promesses d’emploi faites par les différents gouvernements qui dirigent le pays depuis le soulèvement du 14 janvier. D’autres raisons dues à une absence totale de communication et l’inexistence de relations de confiance entre gouvernants et gouvernés sont aussi plausibles que celles en rapport avec la marginalisation des régions, l’absence d’équité et la mauvaise répartition des richesses nationales entre zones favorisées et autres défavorisées.
Et ce qui n’œuvre pas à calmer les esprits, c’est que nous n’avons pas vu, à ce jour, un haut responsable du nouveau gouvernement provisoire légitime s’exprimer publiquement à propos des problèmes sociaux majeurs et proposer un plan d’action ou une vision réconfortante à la population en dehors des déclarations occasionnelles effectuées en marge des visites «inopinées» de certains ministres dans les régions…
«Nous avons hérité d’une situation difficile avec les promesses faites par le gouvernement précédent de réaliser un taux de croissance de 4,5%, ce qui est énorme pour une année aussi difficile que 2012. Sans oublier ses engagements pour créer de l’emploi dans l’immédiat», a indiqué M. Ezzaouia.
Mais le fait est que même pour réaliser un taux de 2% de croissance, il va falloir que le gouvernement de la majorité, légitime, ait le désir, le courage politique, la volonté et le pouvoir d’user de son autorité légale pour appliquer la loi dès qu’ils s’agit de manifestations anarchiques ou de sit-in injustifiés ou d’actes de vandalisme qui compliquent encore plus la situation du pays. N’est-ce pas à l’Etat que revient ce rôle? Il y va de la relance des investissements et de la redynamisation de l’économie.
«La relance économique et celle de l’investissement sont tributaires de la normalisation de la situation sécuritaire dans le pays de l’arrêt total des grèves et des sit-in», a déclaré Ezzeddine Saïdane, expert économique et financier qui avait rappelé que pareille intervention de sa part, il y a quelques mois, lui avait attiré les foudres des lecteurs mais que le postulat est là: sans sécurité et sans stabilité sociale, il n’y a aucune garantie pour l’opérateur privé et aucune raison pour qu’il prenne des risques en investissant.
Mettre fin à la précarité sous toutes ses formes
Hamma Hammami, président du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT), a pour sa part insisté dans son intervention sur l’importance de mettre l’homme au centre du développement rappelant que du temps de Ben Ali, il y a eu des victimes autant parmi les travailleurs que dans le tissu entrepreneurial. Des PME/PMI sanctionnées lorsqu’elles ne s’alignaient pas sur l’ordre établi. «Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est protéger le Tunisien de la précarité et protéger également la classe des affaires de pratiques d’extorsion, car la police politique sévissait également dans leur milieu prétendument privilégié. Dans les circonstances actuelles de la Tunisie, il est impératif de statuer sur les affaires en instances en passant par la justice transitionnelle. Car nous ne pouvons plus tolérer que des groupes économiques aussi importants restent gérés par des mandataires judiciaires qui n’ont généralement pas les profils de managers adaptés aux secteurs et aux activités de ces groupes. Il faut que l’Etat ait le courage nécessaire de prendre les décisions adéquates pour que le pays puisse tourner la page. Pour nous, “justice transitionnelle““ veut dire équité, sans esprit de revanche ou de vindicte et dans le respect de la personne humaine et de ses droits».
C’est aux membres de la Constituante de statuer pour ce qui est de la justice transitionnelle et de la confiscation des biens appartenant à l’ancienne famille du président et ses partenaires. «Et ça sera fait très prochainement», promet Khalil Ezzaouia.
Dans l’attente, il faut que les choses avancent dans le bon sens, et c’est de nouveau aux chefs d’entreprises (femmes et hommes) de «soutenir l’entreprenariat dans toutes les régions de la Tunisie, en améliorant leur situation par le renforcement des fonds propres pour montrer que l’on croit en la Tunisie nouvelle, en vos entreprises et en normalisant les relations avec les banques, car les intérêts des entreprises et ceux des banques vont dans le même sens», estime Ezzeddine Saïdane.
Les banques qui se montrent de plus en plus frileuses avec les entreprises à tel point qu’un jeune manager m’a fait la remarque suivante: «Devons-nous avoir un nouveau Trabelsi pour que les banques deviennent plus souples dans leurs relations avec les entrepreneurs?». Cette question se justifie-t-elle dans la conjoncture actuelle où l’obsession des Tunisiens est devenue la transparence et la rigueur des transactions tous genres confondus? Rigueur rime-t-elle avec les bâtons dans les rues.
Nous réalisons de plus en plus que les Tunisiens sont tous en phase d’apprentissage: un gouvernement qui apprend à exercer le pouvoir et à gouverner; des banques qui apprennent à traiter avec les opérateurs sans coups de pouce, passe-droit ou directives venues d’en haut; une administration qui apprend à appliquer la loi, un peuple qui doit apprendre à la respecter; et des partis politiques qui assurent pour la première fois le rôle d’opposants dans un Parlement.
Des partis politiques de plus en plus conscients de la nécessité de proposer des projets concrets comme celui prôné par Yassine Ibrahim des Forces démocratiques pour le progrès. Celui-ci appelle au plus tôt à créer une Agence tuniso-libyenne d’investissement pour opérer non seulement dans les deux pays partenaires mais également en Afrique où il y aura le plus grand tôt de croissance et traiter avec l’Europe en tant que seul vis-à-vis. La visibilité est aussi impérative, préconise M. Ibrahim qui revient sur l’importance de trancher au plus tôt dans les affaires concernant la confiscation des entreprises familiales et de lancer le processus de justice transitionnelle.
Le capital est lâche et ne peut s’épanouir que dans un climat d’affaires lui offrant visibilité, sécurité et stabilité, et le Tunisien d’après le 14 janvier a le pouvoir de détruire ou de construire et de réédifier son pays par ses actes ou ses réalisations. Il faut y croire pour y arriver.