Il y a un temps pour la campagne électorale. La mobilisation. Les harangues. Les
apostrophes. Les interpellations. Et un temps pour les palais de la République.
Les appels au calme. A la retenue. Au répit. Eh oui… La Troïka au pouvoir (Ennahdha,
Ettakatol,
CPR), juste après la passation des pouvoirs, découvre que le réel
existe, que les dés étaient pipés… Que ses idées fumeuses sur la croissance
prévue pour l’année en cours ou la relance de la machine productive par la
consommation sont prises à revers par la conjoncture internationale, la crise de
la zone euro et le tassement de la consommation chez les ménages du Vieux
Continent.
Déjà, certaines voix au Palais de La Kasbah, inquiètes de voir le matelas des
devises du pays fondre comme neige au soleil, parlent de rigueur, magnifient
l’austérité et appellent l’UGTT à revoir les accords d’augmentation de salaire
et de suppression de la sous-traitance, passés avec l’ancienne équipe de Béji
Caïd Essebsi.
On dira, non sans raison, que ce sont les idées démagogiques du départ, qui
étaient mauvaises. Qu’il faut pousser la charrue du bon côté. Mettre fin à
l’agitation, aux sit-in, faire le point et tâcher enfin d’être honnête avec
l’opinion publique. Ennahdha et ses alliés, qui portent leur foi à la
boutonnière, sont condamnés maintenant à rompre avec les postures
oppositionnelles de principe. A acquérir une lucidité panoramique sur la
société. A expliquer les choses. Dire que la situation a changé. Que l’histoire
nous mord la nuque. Que comme toujours le fond finit par remonter à la surface.
Car les équilibres financiers de l’Etat sont dans la balance. Les déficits
publics virent au rouge. Que de ce fait, certaines décisions, en relation avec
l’assistanat, ne sont pas bonnes à prendre aujourd’hui. Si on ne veut pas aller
dans le mur économique.
Mais c’est aussi sur le plan politique qu’il est urgent de se ressaisir, la
logique globale de la ligne actuelle d’Ennahdha prête à cautions. Surtout avec
la prolifération des contre-manifestations. Le recours systématique aux
anathèmes. La diabolisation des opposants. Les brouhahas infernaux dans
l’hémicycle de la Constituante. Le jeu de dupes, lié à la manipulation des
groupuscules salafistes. Les invectives déstabilisantes.
Il faut donc corriger le tir sur la forme autant que sur le fond. Pour éviter de
se retrouver comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.
Sur la forme, nous avons un gouvernement inutilement pléthorique. La
prolifération de secrétaires d’Etat et de ministres délégués est budgétairement
coûteuse et politiquement nuisible. La gronde des uns et des autres le confirme
déjà. Le «sous-ministre ayant toujours la tentation de faire l’intéressant,
sinon de devenir calife à la place du calife.
Quant au fond, il est urgent de s’adresser à la nation, doté d’un plan de
mesures économiques clairement détaillé pour ce qui reste de la législature. Et
mettre l’accent sur ce qui rassemble les Tunisiens et déminer les terrains de la
discorde. Il n’y a pas de réforme, nous dit-on, mère de toutes les réformes,
mais une multiplicité d’actions, qui jouent sur un clavier plus large. Car, dans
ce pays, aucun pouvoir ne peut remporter de challenge sans l’apport des classes
moyennes citadines, à la fois rationnelles et romanesques, sombres et exaltées,
depuis toujours éprises de consensus, de justice sociale et de tolérance.
Bref, après une annus horribilis sur le plan économique où chacun a vu
l’actualité par le petit bout de son porte-monnaie ou le gros trou dans son
épargne, il nous faut repartir du bon pied, le droit, naturellement! Sinon
Ennahdha et ses alliés seront contraints, d’ici peu, de manger leur chapeau,
après avoir fait la leçon aux autres.