Nous ne reviendrons pas ici sur le procès de la Chaîne Nessma TV dans l’affaire de la projection de Persepolis, et lequel a été, lundi 23 janvier, reporté au 19 avril prochain. Nous n’y reviendrons pas car nous considérons que l’affaire est maintenant entre les mains de la Justice, et qu’il n’appartient à personne de s’immiscer, fût-ce avec prudence, dans la lecture que fera le tribunal compétent saisi de l’affaire. La Justice est souveraine et toute tentative de l’influencer est vaine. En termes plus clairs, la Justice est libre et indépendante.
En revanche, c’est au nom de cette même liberté et de cette indépendance qu’on voudrait apprécier ce qui s’est passé ce 23 janvier 2012 devant le Palais de Justice. Comme vous le savez tous, des journalistes, venus couvrir les actes du procès, ont été encore une fois houspillés, humiliés et même violentés physiquement par des individus avérés au grand jour des Salafistes. Disons-le tout de suite: c’est plutôt ces derniers qui ont tenté, hier, d’influencer quelque peu la Justice en scandant des slogans du genre ‘‘Le peuple veut la fermeture de Nessma TV». Deux fausses notes dans ce slogan: d’abord, qui, parmi le peuple, a chargé les agresseurs d’agir en son nom, et en quelle qualité ceux-ci se croient habilités à parler au nom du peuple? Se peut-il que le peuple tunisien soit devenu à ce point primitif pour demander que ses opinions, ses choix ou ses orientations soient traités par la force physique? Ensuite, depuis quand la Justice tunisienne tâte le pouls de l’opinion publique avant de se prononcer sur telle ou telle affaire? Rien que de ce point de vue, les agissements perpétrés hier sont une pure goujaterie indigne de la Tunisie du 21ème siècle.
En vérité, Salafistes ou pas, Nahdhaouis ou pas, les agresseurs savent pertinemment qu’ils ne peuvent rien contre la Justice – même s’ils déclarent dans les coins de rues qu’ils sont devenus les nouveaux maîtres du pays. Par conséquent, il ne leur est resté qu’un seul adversaire à combattre: les journalistes. Ou que ceux-ci les accompagnent dans leur marche vers l’obscurantisme le plus noir et barbare, ou qu’on fasse tout pour les faire taire.
Hier donc, les Pr Zyed Krichène et Hamadi Redissi, respectivement grand intellectuel – directeur de rédaction du journal Al Maghreb, et universitaire également membre du conseil de rédaction du même quotidien, ont reçu des coups de poing à la face, à la tête et tout le corps, avec, en prime, un crachat à la figure du Pr Krichène. La Une du journal Al Maghreb d’aujourd’hui 24 janvier est une Honte pour la Tunisie entière. Quiconque regarde cette photo ne peut ne pas se sentir indigné, révolté, humilié à son tour. Frapper deux grands symboles (parmi tant d’autres) de l’intellect tunisien est une ignominie, un crime inadmissible. Que tous ceux qui ne connaissent pas le Pr. Zyed Krichène le sachent maintenant: ce Monsieur, à leur invitation, a sillonné les pays du monde arabe, européen et occidental pour y donner des conférences sur l’islam et la situation politico-économique où se trouve ‘‘engoncé’’ le monde arabe. Voilà l’homme à la face duquel un pitre a jugé héroïque de cracher.
Or, le plus blessant dans toute cette histoire, ce n’est pas tant que les journalistes et les intellectuels soient devenus la cible des islamistes de tous bords, mais l’incapacité flagrante de ces derniers de s’asseoir à la table du débat. A l’encre des intellectuels et des journalistes, ils opposent leur salive pour cracher à la figure de ceux dont les élèves auraient pu être leurs propres professeurs! C’est ça la Honte que jamais la Tunisie ne pourra admettre.
Tenter, donc, d’influencer quelque peu la Justice, et faire taire les journalistes une fois pour toutes: peine perdue. Ni la Justice ne se laissera jamais faire, ni les journalistes –encore moins les intellectuels– n’abdiqueront ou ne baisseront jamais les bras. Ce serait vraiment cracher à la mémoire des martyrs de la Révolution que de baisser les bras et laisser faire à leur guise les ennemis de la Tunisie, des libertés et jusque de l’Islam dont ils souillent l’image à l’intérieur et, surtout, à l’extérieur du pays.
Le président Moncef Marzouki a fermement condamné les agressions répétitives contre les journalistes, cependant que le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a donné ses instructions pour l’ouverture d’une enquête. Que cela ne reste pas lettre morte. Car il y va de l’avenir même de vos enfants.