Les prémisses de la confrontation entre les groupes salafistes tunisiens et le parti Ennahdha et le gouvernement qu’il préside en ce moment se dessinent de plus en plus clairement ces derniers jours. Les actes d’agression qui se répètent tous les jours ou presque partout dans le pays ont été exacerbés, lundi 23 janvier, autour du procès de la chaîne Nessma TV.
En effet, les journalistes Abdelhalim Messaoudi, d’abord, Zied Krichene, ensuite, avec le politologue Hamadi Redissi, des avocats comme maîtres Chokri Belaïd et Saïda Grach, ont été ouvertement agressés et même frappés (notamment Messaoudi, Krichene et Redissi) par des salafistes qui n’avaient absolument rien à craindre de la police pourtant bien déployée autour du Palais de Justice à Bab Bnet.
A ceci, il faut ajouter une longue liste d’actes d’agression, de banditisme et de perturbation de l’ordre public à Sejnane, dans les facultés de La Manouba et de Sousse, à Mahdia où on a vu deux prêches vendredi 20 janvier dans la même mosquée parce que les salafistes ont décidé de ne pas accepter la prêche de l’Imam conventionnel de la Mosquée…
Mais plus profondément, le gouvernement de Hamadi Jebali se trouve aujourd’hui coincé dans une position critique à la fois politique et sociale. La poursuite de l’enveniment de la situation dans la Faculté de La Manouba et l’inaction flagrante des forces de l’ordre qui attendent une décision claire des autorités pour sévir trahissent en fait l’impasse où se trouve la majorité nahdhaoui devant l’épineux problème des expressions salafistes à sa droite et qui ont fait sortir enfin M. Jebali de son mutisme, d’abord samedi dernier lors de son intervention sur les trois chaînes de télé du pays où il a déclaré que la perturbation de l’ordre public n’est plus tolérable, qu’où qu’elle vienne.
Enfin, l’après midi du lundi 23 janvier, devant l’ANC où il a fustigé durement l’agression de Zied Krichene en promettant que les agresseurs seront poursuivis et punis pour leurs actes..
Cette confrontation avec les salafistes, qui se dessine, se fait sur un arrière-fond de conflit idéologique et politique au sein du parti de Rached Ghannouchi. Prévu à fin février, le premier Congrès d’Ennahdha sera très vraisemblablement reporté à plus tard. Les priorités de l’équipe gouvernementale et la situation du pays y est pour beaucoup certes, mais également la bataille entre faucons et les colombes est latente.
L’enjeu n’est pas mince puisque le parti Ennahdha vit un moment crucial de son histoire. Créé depuis la fin des années 70 sous l’appellation “Mouvement de la Tendance islamique“ (MTI), ce parti qui se réclamait clairement de la mouvance des Frères Musulmans et qui s’inspirait des leaders islamistes comme Sayed Kotb, Maoudoudi et autres, a progressé et grandi sous la dure loi de la clandestinité vers une position extrémiste notoire allant jusqu’à taxer tous ses ennemis de mécréants et jusqu’à l’organisation d’une aile militaire dure en son sein lors de la grande confrontation qu’il a eue avec le régime de Ben Ali.
Cependant, le MTI a toujours été également traversé par une autre mouvance intellectuelle moins dure et plus pragmatique –qui fut représentée un moment par Abdelfattah Mourou et autres- et qui se distinguait de l’influence Ikhwanis des frères égyptiens en se référant plus à des penseurs islamistes tunisiens beaucoup plus réformistes que révolutionnaires.
Ennahdha se retrouve aujourd’hui avec d’autres enjeux et un autre contexte. Contexte créé par la Révolution tunisienne et dont Ennahdha et les autres partis ont bénéficié mais qui les accule à des nouvelles postions et une relecture complète de leurs thèses et de leurs programmes.
Pour le cas du parti Ennahdha, l’enjeu est notoire puisque ce parti s’est fixé comme objectif de démontrer aux Tunisiens et au reste du monde qu’un parti islamiste arabe est capable de devenir un parti de gouvernement et que l’idéologie «islamiste» ne se résume pas à l’extrémisme des groupes salafistes et autres Qaeda, mais que l’évolution positive que le parti AKP turc a vécue peut très bien se retrouver dans un pays arabe à l’ombre d’un régime démocratique où les islamistes ne sont pas stigmatisés et bannis comme ils l’étaient avec Ben Ali ou Moubarak…
Cette bataille d’un autre genre se fera au sein du parti de Rached Ghannouchi et ceci avant les prochaines élections tunisiennes mais elle se fera dans le feu de l’action. L’action contre les salafistes qui ne cessent d’acculer le gouvernement et Ennahdha à la confrontation, mais également l’action sur le front social avec la multiplication des sit-in et autres grèves dans tous le pays empêchant l’économie de tourner en régime normal et permettre ainsi au gouvernement Jebali de commencer les premières mesures capables de répondre aux multiples attentes de la population.