Il était l’invité d’honneur du séminaire de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT), organisé dans l’un des hôtels de la capitale, sous le thème «Relance économique et responsabilité sociale des entreprises, un an après le déclenchement de la révolution tunisienne». “Il“, c’est Pr Chedly Ayari, de tout temps lanceur d’alertes, ancien ministre de l’Economie sous Bourguiba et expert de notoriété internationale, pour qui le pays danse désormais sur un volcan, a d’emblée taxé la gouvernance de la révolution de la liberté et de la dignité de déficiente, mis en garde contre le délitement des liens sociaux, des services, des disciplines et des consciences dans le pays, attiré l’attention de l’assistance sur la situation alarmante des PME tunisiennes, qui disparaissent sans fleurs ni couronnes depuis des mois, et appelé les nouvelles élites politiques du pays (gouvernement, société civile, classe politique), issues du 14 janvier 2011, à sauvegarder et à ménager l’entité tunisienne, de plus en plus menacée par les démons du régionalisme, du tribalisme et des apprentis-sorciers de l’agit-prop.
«Si le gouvernement de Mohamed Ghannouchi I et II a vécu dans la terreur et le désarroi avec les sit-in de La Kasbah, la pression de la gauche radicale, le tumulte des protestations, la foule, régulièrement insurgée et émeutière et le diktat de la rue, l’avènement de l’équipe de Béji Caïd Essebsi, au début du mois de mars 2011, a marqué le début d’une forme d’apaisement, ponctuée quand même de crises et de crispations, révélatrices de l’ampleur des blocages de la société tunisienne et de l’impatience des acteurs politiques, qui ont tous grimpé la révolution du Jasmin», déclare Mr Ayari, dont les propos, tout au long de son intervention, étaient assimilés à des fléchettes à l’encontre de l’UGTT, accusée d’opportunisme flagrant durant le bouillonnement révolutionnaire et du personnel politique, englué dans les surenchères, les injures et les claquements de pupitre, incapable, insiste notre interlocuteur, de se réinventer, de se surmonter, de réenchanter la politique, de se garder des abstractions, de lire correctement les impératifs de l’étape actuelle, d’investir dans le long terme, de pousser la charrue du bon côté, d’être au service d’une grande cause, de mettre tout à plat, d’ajuster ses positions à l’ensemble des réalités politiques, sociales, économiques et culturelles de la nation et de rester réaliste quand on a un idéal et de garder son idéal quand on voit les réalités.
Dans sa conclusion, notre vis-à-vis, pour qui, la société tunisienne, dans son ensemble, a intérêt à se débarrasser au plus vite de cette insouciance de type Titanic, a diagnostiqué 500 sit-in en 2011, parlé de 100.000 chômeurs en plus durant l’année écoulée (de 14% en 2010 à 18% de chômage actuellement) et évoqué une croissance négative de l’ordre de 1,8%. En raison des troubles persistants dans toutes les régions du pays et des tensions politiques chroniques. Même après la Constituante. Ce qui va freiner, immanquablement, dit-il, la relance économique en 2012, entamer la crédibilité de la troïka au pouvoir, mettre à mal les objectifs du nouveau gouvernement, qui a tablé sur 4,5% de croissance. Alors que l’investissement privé national et international attend encore des signaux d’apaisement du climat social et de l’environnement des affaires. Il est donc plus que jamais nécessaire de laisser les idéologies à la porte et d’examiner les choses avec distance.
Il est vrai que gouverner, disait De Gaulle, est un métier de l’urgence.