Il y a 34 ans, jour pour jour, la Tunisie vivait, ce jeudi-là, l’une des plus grandes tragédies de son Histoire. Que s’est-il passé? Et pourquoi? … Voici quelques éléments de réponse.
Il faut dire que l’affaire remontait déjà à 1976. Le gérant d’une grande usine textile à Ksar Helal avait jugé utile de brûler des balles entières de tissu. Aussitôt, les ouvriers avaient pensé que c’était là une manœuvre tendant à ruiner l’entreprise pour ensuite conduire jusqu’à la fermeture de l’usine. En guise de protestation, ils avaient observé une grève de plusieurs jours. En fait, il allait s’avérer que les balles de tissu incinérées étaient tout simplement défectueuses. Saisie de l’affaire, l’UGTT avait donné gain de cause aux ouvriers. Depuis, les grèves allaient se multiplier un peu partout dans le pays, touchant progressivement tous les secteurs.
Nous sommes à l’époque où l’UGTT, sous la direction de son président Habib Achour, était au plus haut de sa force. Toutes les filières de l’Union étaient d’ores et déjà mobilisées pour s’engager dans une lutte acharnée contre le pouvoir en place, mais pour des raisons assez floues. Grosso modo, les revendications portaient sur l’augmentation des salaires et la résistance à un pouvoir coercitif exercé par l’Administration (ce qui n’était pas tout à fait faux). Mais il importe de rappeler que la dernière tranche desdites augmentations salariales avait été servie au mois d’octobre 1977, soit une revendication irrecevable.
Aussi, Habib Achour décidait-il la grève générale à la date du 26 janvier 1978, et ce en dépit des menaces sérieuses du PSD de mater la grève par tous les moyens. Dès la matinée, les agents de l’ordre encadraient les principales artères de la capitale et environs, mais, face à des vagues humaines ayant envahi les rues, Bourguiba avait donné l’ordre à l’armée d’intervenir. Ce fut fait dès 13 heures. L’Avenue Bourguiba, mais également plusieurs régions du pays, s’étaient transformées en champs de bataille. A l’époque, on avait parlé, officiellement, de 51 morts et de centaines de blessés; selon d’autres témoignages, le nombre de morts dépassait vraisemblablement les 400 –sinon plus.
Or, il semble que la raison principale de l’affaire 1978 soit ailleurs, que ce Bourguiba, proclamé président à vie depuis 1975, était sérieusement malade. A la question de savoir qui devait lui succéder en cas de vacance du pouvoir, Bourguiba aurait répondu: «Conformément à la Constitution, c’est le Premier ministre qui sera chargé d’assurer le restant du mandat jusqu’aux élections». Ainsi donc, Hédi Nouira était tout désigné pour succéder à Bourguiba, du moins provisoirement.
Selon d’autres témoignages, les propos de Bourguiba avaient offensé Habib Achour qui estimait que, l’UGTT et lui-même ayant contribué largement à la lutte pour l’indépendance (Achour avait fait la prison pour la cause), force était donc de reconnaître le mérite de l’Union en lui renvoyant l’ascenseur, c’est-à-dire en désignant Achour pour la succession.
Ce que nous pouvons dire ici, c’est que, pour avoir une idée très claire sur les événements de janvier 1978, il faudrait prendre en considération une seule référence sérieuse et très valable: «Les trois décennies Bourguiba» de Tahar Belkhoudja.