Après le verdict des urnes du 22ème Congrès de l’UGTT, organisé du 25 au 28 décembre 2011, à Tabarka, la victoire sans appel des lobbies et des réseaux d’influence au sein de la Centrale et le conservatisme de bon aloi, qui persiste chez la plupart des Unions Régionales, les compétences syndicales indépendantes et autonomistes, émettrices, depuis des lustres, des valeurs ouvriéristes internationales, risquent, affirment des observateurs assidus de la Place Mohamed Ali, de déserter les rangs de l’organisation et de rendre le tablier. La mort dans l’âme. En raison de l’attitude ringardisée et outrancière de la direction de l’UGTT, durant les assises de Tabarka, à l’égard de certaines forces syndicales, volontiers critiques là où d’autres sont apologétiques et enflammées, porteuses de progrès, adeptes de la réflexion, de l’autocritique et du débat démocratique, qui refusaient de montrer patte blanche et rejetaient les strapontins, les mythes consolateurs, l’autocélébration et les slogans corporatistes, chauvinistes et sectaires.
«Les délégués du 22ème Congrès de l’UGTT, à Tabarka, lyriques à volonté, gonflés à bloc et travaillés au corps à corps depuis des semaines, entonnaient, tout au long de leurs travaux, des chants à la gloire de la Centrale, insistant sur sa primauté, son avant-gardisme et même son hégémonie naturelle sur la scène politique et sociale du pays», déclare un ancien compagnon de route du vieux leader Habib Achour, pour qui, les baronnies de la Place Mohamed Ali, qui n’hésitent pas à bomber le torse et à afficher, à toutes les occasions, la toute puissance de leur logistique mobilisatrice, sont dans l’incapacité, depuis le déclenchement de la révolution du Jasmin, de contrôler totalement les mouvements sociaux, d’apprendre au peuple à se contraindre et à prévoir, de mettre fin aux grèves sauvages et d’atténuer les effets des sit-in sur les relais de la machine productive nationale.
D’ailleurs, ajoute notre interlocuteur, sourire au coin, la mésaventure électorale de certaines figures de proue de la Place Mohammed Ali, à la tête de quelques partis politiques de gauche et de centre gauche et de certaines listes indépendantes, pendant la Constituante, devrait inciter à plus d’humilité, de remise en cause et de retenue. En raison, dit-il, des scores dérisoires obtenus et de la percée sociale incontestable de certaines forces politiques, qualifiées de conservatrices, voire réactionnaires, mais paradoxalement émettrices de signes d’ouverture concrets envers les autres protagonistes de la scène publique et les personnalités de la société civile tunisienne.
Ainsi donc, contrairement aux baronnies de la Place Mohamed Ali, qui n’ont pas hésité, tout au long des travaux du 22ème Congrès de l’UGTT, à faire fi des doléances des Unions Régionales du Sahel (Sousse, Monastir), à jouer un jeu de dupes, à nier aux compétences syndicales autonomistes le droit d’investir les hautes instances, grâce au verrouillage d’un système électoral inique et à assener à la base une balourde propagande à coup de slogans réducteurs, le mouvement islamiste conservateur Ennahdha, après avoir obtenu 89 sièges à l’Assemblée Constituante, se laisse porter par le courant, évite l’isolement, s’adosse aux avantages d’une stratégie de mouvement, essaie de retrouver de la profondeur stratégique, construit de nouvelles alliances pour défendre ses intérêts, anticipe de la position de l’autre, se désenclave en réussissant la formation d’une troïka au pouvoir, nomme, au sein de l’équipe ministérielle, une ancienne gloire du football national (Tarek Dhiab) et parvient à convaincre un dissident du PDP (Mahdi Mabrouk à la Culture) et une personnalité, proche des milieux syndicalistes (Hussein Dimassi aux Finances), à faire partie de la coalition gouvernementale tripartite.
Finalement, conclut un syndicaliste à la retraite, l’issue des assises de Tabarka et le maintien de la suprématie de l’appareil de l’UGTT, qui a dansé à contre tempo en faisant de l’incantation volontariste un élément fondamental de l’identité de ce Congrès, peut conduire certaines forces indépendantes, formées sur le terrain, à abandonner l’espoir de faire un jour partie de la direction de l’organisation (B.E).
A ce rythme là, ajoute notre vis-à-vis, la Centrale, qui s’affadit dans une culture de la «gestion», de la conservation d’intérêts, de positions, de places et de postes, risque de perdre un peu plus le monopole de la conduite des affaires de la classe ouvrière, de la définition de ses problèmes et de leur hiérarchisation, et des mots qu’on emploie pour les traiter.
La réforme, c’est la vie, disait André Malraux. Il faut réformer pour suivre la vie. Un adage qu’il faut tambouriner sans cesse. Car, comme le criait Lamartine à son annoncier, Dieu lui-même a besoin de cloches. Cela passe par la revisitation des mythes et la confrontation des regards et des points de vue. Au sein de la «Maison» syndicale.