Aussitôt installés au pouvoir, les Islamistes d’Ennahdha (Tunisie) et ceux du PJD (Maroc) font face à une accélération des revendications violentes. Ici et là, les réactions ne se sont pas fait attendre: Assez. Les vécus tunisien et marocain comptent du reste d’évidentes ressemblances.
L’ensemble de la presse marocaine a fait état du décès, mardi 24 janvier 2012, d’Abdelwahab Zeidoun, 27 ans, qui s’était aspergé d’essence, à Rabat, le mercredi 18 janvier. Ce dernier voulait, dans un acte de désespoir, protester contre sa situation de chômeur. Titulaire d’un master en documentation de l’université de Fès (centre), ce jeune chômeur avait participé avec un groupe de diplômés du supérieur à un sit-in dans une annexe du ministère de l’Education dans la capitale marocaine afin d’obtenir un emploi dans la fonction publique.
La presse marocaine a également rapporté que 70 jeunes ont menacé, vendredi 20 janvier 2012, dans la ville de Benguerir (sud du Maroc), de commettre un «suicide collectif» exigeant d’être embauchés par l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), une des plus importantes entreprises du pays, sinon la plus importante.
Comme s’il balayait une saleté
La presse marocaine a encore fait état du « Dégage » signifié par le premier ministre installé à la tête du gouvernement marocain, après les législatives du 20 novembre 2011, l’islamiste Abdel Illah Benkirane, patron du PJD (parti de la Justice et du Développement) à un jeune chômeur qui l’avait interpellé, le vendredi 20 janvier 2012, dans une rue de Rabat. Après avoir essayé de le raisonner, le Premier ministre a esquissé à son égard un geste répulsif comme s’il balayait une saleté.
La presse n’a pas manqué de voir dans le premier fait une ressemblance avec le vécu tunisien. L’immolation d’Abdelwahab Zeidoun rappelle le martyr de Mohamed Bouazizi. Ici et là, l’acte d’immolation a abouti à un décès; ici et là, il s’agit d’une illustration du désespoir qui gagne une partie de la jeunesse arabe; ici et là, c’est un épisode de ce printemps arabe qui a focalisé l’intérêt de l’opinion internationale.
Ne pouvons-nous pas trouver d’autres ressemblances? Une analyse des faits permettrait sans doute de trouver des points communs entre l’actualité dans les deux pays. Au moins à trois niveaux.
Premièrement, l’OCP ressemble comme deux gouttes d’eau à la CPG (Compagnie des phosphates de Gafsa). Toutes deux sont deux grandes entreprises. Qui attirent, ici et là, la grande foule des chômeurs. Ces entreprises versent des salaires élevés avec de grandes possibilités d’accueil eu égard du moins à leur effectif: 18.000 pour l’OCP et 5.292 pour la CPG). Avec une activité de longue date datant de la période coloniale et des plus solides (l’extraction des matières premières), qui assure une sécurité de l’emploi étant donné la demande internationale pour le produit des deux entreprises, le phosphate.
Ennahdha et le PJD ont-ils trop promis?
Deuxième ressemblance, l’arrivée des Islamistes au pouvoir attisé la contestation sociale et l’expression des revendications. Est-ce dû au fait qu’Ennahdha (Tunisie) et le PJD (Maroc) ont trop promis? La presse marocaine n’a pas caché que les promesses électorales du PJD sont irréalisables. On se souvient qu’en Tunisie le programme du gouvernement de Hamadi Jebali avait été jugé comme comportant des intentions et non de réelles réformes. Est-ce également au fait que la grande masse des Tunisiens et de Marocains nourrissent beaucoup d’espoir à l’égard des Islamistes, jugés beaucoup plus proches du peuple, et donnant l’impression de pouvoir renverser très rapidement toutes les vapeurs? Peut-être! Est-ce dû au fait que les Tunisiens et les Marocains n’ont que trop attendu? Peut-être aussi. Certainement diront les observateurs.
Toujours est-il que la rue semble exercer une pression pour que les Islamistes au pouvoir se décarcassent, pour qu’ils aillent plus vite. Les revendications violentes ont certes toujours accompagné aussi bien au Maroc comme en Tunisie le déclenchement du printemps arabe. Mais ces dernières se sont toutefois accélérées depuis l’installation des gouvernements islamistes pour atteindre des niveaux d’exagération jamais atteints. Avec des demandes de sécession et une attaque en bonne et due forme humiliante de représentants de l’Etat (Tunisie) et une augmentation assez sensible des tentatives d’immolation (Maroc).
Dernière ressemblance, la réaction du Premier ministre marocain ne rappelle-t-elle pas celle du député Sadok Chourou qui a affirmé dans une intervention, lundi 23 janvier 2012, devant ses collèges de la Constituante, que «ceux dont l’action entrave la bonne marche du pays» -entendez les grévistes, sit-inneurs et autres personnes qui coupent les routes- qu’il a qualifié d'”ennemis du peuple” «méritent la punition annoncée dans la sourate 5 verset 33 et qui requiert que l’on coupe les mains et les pieds à ceux qui font la guerre contre Allah et Son Messager»?
Le député Sadok Chourou s’est-il emporté au vu des dangers qui guettent le pays? Sans doute. Mais, l’essentiel est ailleurs, les Islamistes en ont assez de ces empêcheurs de tourner en rond. Les déclarations répétées, ces derniers jours, de membres du gouvernement et d’Ennahdha sur la nécessité d’appliquer la loi ne participent-t-elles de cette logique?