Selon William Zartman, professeur et chercheur à l’Ecole des études internationales avancées de l’Université John’s Hopkins de Washington, et spécialiste de la mouvance islamiste et des relations américano-maghrébines, les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent aider la Tunisie que par le biais de trois alternatives.
La première consisterait à accroître les échanges commerciaux et à accélérer la mise en place d’une zone de libre-échange entre les deux pays, projet auquel les Etats-Unis accordent une importance très particulière.
La deuxième porte sur l’effort à mener pour attirer vers le site de production international Tunisie un plus grand flux d’investissements directs américains. Dans cette perspective, la Tunisie n’aurait, aux yeux de M. Zartaman, qu’à promouvoir la compétitivité des salaires des ouvriers en Tunisie, entendez par-là leurs bas salaires.
La troisième consisterait à apporter à la Tunisie une aide significative du type «Plan Marshall», célèbre stratégie mise au point par les Américains pour booster la reconstruction de l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale. M. Zartman s’est empressé d’exclure ce scénario en raison des difficultés budgétaires et économiques dans lesquelles se débattent, actuellement, les Etats-Unis et en raison du peu d’intérêt stratégique que présente pour eux un tout petit marché comme la Tunisie. Pour lui, son pays ne peut s’intéresser à la Tunisie que dans le cadre d’un marché unique maghrébin de plus de 100 millions d’habitants.
L’Universitaire américain, qui intervenait, vendredi 27 janvier 2012, dans le cadre d’une conférence sur «les relations tuniso-américaines après la révolution», organisée par le club de presse Averroès et le Centre d’étude sur l’islam et la démocratie »(CSID), a été appuyé dans ses thèses par Hamadi Redissi, chercheur et politologue tunisien.
Ce dernier s’est montré, à son tour, fort sceptique quant à tout éventuel projet des Etats-Unis d’aider généreusement la Tunisie et de mettre à sa disposition une enveloppe annuelle de 5 milliards de dollars renouvelable comme le suggérait Radhouane Masmoudi, président du CSID. Pour l’universitaire Redissi, «si la Tunisie allait devenir l’«Israël du Monde Arabe» et bénéficier d’une telle aide, il faut nécessairement qu’elle le justifie par d’éminents services pro-américains».
Ce qui est loin d’être le cas, même si certains seraient tentés de penser que les Etats-Unis sont redevables à la Tunisie pour avoir amorcé pacifiquement et surtout au moindre coût une transition démocratique qui pourrait faire tâche dans la région Mena (Afrique du Nord et Moyen-Orient).
Est-ce nécessaire de rappeler ici que pour les spécialistes, la révolution tunisienne avec comme prime l’adhésion pacifique des islamistes au pouvoir n’aurait coûté que l’équivalent de deux mois de guerre en Irak?
Malgré l’enjeu géostratégique, de ce nouveau souffle démocratique dans le monde arabe, la Tunisie ne serait pas le pays que les Américains chouchouteraient, et ce pour moult raisons.
Il faut dire, d’abord, qu’à l’exception du président Eisenhower qui avait prévu, dans sa doctrine du Moyen-Orient (vers 1956), pour la Tunisie un rôle géostratégique, l’administration américaine n’a jamais, depuis, inscrit le pays du jasmin sur la liste des pays stratégiques dans la région comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite ou l’Algérie. En clair, la Tunisie, n’étant ni un pays gros producteur de pétrole et de gaz ni un pays en confrontation directe avec leur allié Israël, est retenue comme un pays de seconde zone.
Concrètement, les Américains perçoivent la Tunisie, tout comme le Maroc d’ailleurs, comme des pays «utiles» destinés soit à faire passer leurs thèses soit à leur fournir des informations confidentielles sur les travaux d’institutions régionales comme la Ligue des Etats arabes.
C’est d’ailleurs dans cette optique que s’inscrit admirablement le témoignage apporté, dans le cadre de cette conférence, par Hatem Ben Salem, ancien ministre de l’Education et surtout ancien secrétaire d’Etat aux affaires européennes.
Il a révélé qu’à la veille de réunions de la Ligue des Etats arabes, le président Ben Ali demandait aux premiers responsables du ministère des Affaires étrangères de contacter l’ambassadeur des Etats-Unis à Tunis pour lui demander s’il avait un message à faire passer ou des attentes particulières des travaux de ces réunions.
C’est pour dire, in fine, que tous ceux qui nourrissent encore des espoirs de voir les Etats-Unis aider généreusement la Tunisie peuvent lourdement se tromper. Ils omettent que nous avons réussi à réaliser le plus difficile de notre Histoire contemporaine, notre propre révolution, celle-là même qui va libérer les énergies et nous permettre de compter sur nous-mêmes et d’oublier définitivement cette quête institutionnelle de l’aide étrangère, d’autant plus que les problèmes légués par le dictateur déchu, fussent-ils nombreux et complexes, sont à portée humaine, bien à notre portée. A méditer.