4.000, 7.000, 8.000, 10.000, 12.000… Ce plusieurs centaines de personnes qui ont participé, samedi 28 janvier 2012, à une marche pour défendre les libertés et les Droits de l’Homme et dénoncer la violence imputée principalement à des groupes islamistes radicaux. Complètement désolidarisée avant les élections et désorientée depuis le résultat des urnes, l’opposition tunisienne progressiste semble se réveiller. Cette marche est-elle un coup de poing ou de «bluff»? Un coup pour rien ou l’amorce d’un nouveau tournant?
«C’était un rendez-vous à ne rater sous aucun prétexte. Nous les femmes sommes menacées par cette violence rampante et nous sommes massivement là pour faire front contre le fanatisme pas contre notre propre religion. Ceux qui veulent nous présenter comme des «Koffar» vont se prendre à leur propre jeu». Des propos exprimés par une manifestante que résumaient plusieurs pancartes et slogans brandis durant la manifestation.
C’est donc à l’appel de plusieurs partis d’opposition et d’ONG que s’est tenu le premier vrai déploiement massif de la société civile depuis les élections. Une marche qui se voulait une sonnette d’alarme à la détérioration de la situation des libertés en Tunisie. Elle n’a pas été rejointe par les partis au pouvoir alors qu’ils pouvaient ou auraient dû… Les libertés que défend cette marche ne sont-elles pas universelles?
L’Etat tunisien a parfaitement assumé son rôle aux côtés des organisateurs en veillant au bon déroulement de la manifestation. Via la chaîne Al Jazeera et à travers Lotfi Zitoune, Conseiller auprès du chef du gouvernement, on découvre que cette initiative dérange au plus haut point. Dimanche, une contre-manifestation a même été organisée par ceux qui s’élèveraient contre la non violence? Un charabia bien tunisien en attendant d’y voir plus clair!
Pour le moment, la confrontation se confirme tous les jours. Lotfi Zitoune a déclaré sur la chaîne du Qatar et du reste assez nerveusement: «Que devons-nous faire? Arrêter tous les barbus et exclure tous les islamistes? Il n’en est pas question. Cette marche est organisée par ceux qui refusent le résultat des urnes et veulent refaire un autre match alors que celui-ci vient de finir et que nous avons gagné les élections». Une manière bien obtuse de voir les choses. Il n’est nullement question du résultat des urnes que tous les partis ont accueillis, mais il s’agit de défendre les libertés et réclamer de l’ordre.
Pour d’autres, ce qui se passe est «un jeu dangereux auquel se livre l’opposition. Un jeu qui risquerait de tuer la démocratie, l’alternance au pouvoir et tout le merveilleux processus transitionnel en cours». Dans un article paru sur Nawaat, on lit: «Au lieu d’analyser les causes de son échec aux urnes et préparer sérieusement les prochaines élections, l’opposition ne cesse d’orchestrer des manœuvres politiques afin d’empêcher le gouvernement légitimement formé de fonctionner sereinement».
Reste à savoir si l’opposition –très minoritaire du reste- possède vraiment cette force de nuisance. Dans tous les cas, certains se rallient à l’opinion du président provisoire, Moncef Marzouki, qui n’a cessé de le déclarer. La gauche perdante est la cause de tous les maux. Une étrange manière de souder les Tunisiens en ces temps si dures où toutes les forces vives sont à mobiliser pour la construction du pays.
Mais pourquoi la Troïka est-elle particulièrement et autant sur les dents? Tout porte à croire qu’à cette situation politico-économique fragile, un communiqué émanant de l’ancien chef de gouvernement, Béji Caïd Essebsi, a jeté de l’huile sur le feu. Une opération jugée malsaine mais dont on se félicite dans l’opposition, ne cherchant pas à y voir plus qu’une alerte. L’ancien chef de gouvernement a aussi envoyé un message d’aide aux actuels gouvernants. Ils semblent ne pas vouloir l’entendre et se limitent à encenser toutes les initiatives…
Depuis sont arrivée au pouvoir, Ennahdha multiplie les erreurs en démontrant sa faiblesse à réagir mais aussi à interagir. Par excès d’orgueil au lendemain des résultats et par de trop nombreuses formes d’incompétences à gérer les affaires du pays, les perdants aux élections sont-il en train de se sentir de plus en plus forts? Au vu de la marche et du jeu des coalitions qui prennent place sur la scène politique tunisienne, ils semblent dans tous les cas devenir plus déterminés.
Pour l’instant, la Troïka perd un peu plus de sa crédibilité tous les jours et l’opposition peine encore à s’en construire une. Si ces derniers aspirent à devenir plus nombreux, il leur faut devenir plus représentatifs d’une Tunisie qui souffre, et pour cela, investir le terrain et manifester autant si ce n’est plus de détermination à soutenir ceux dont la colère ne cesse de gronder.
Pour les gouvernants, qui espèrent gouverner plus au moins longtemps, il leur faudra prendre plusieurs décidions impopulaires pour remettre le pays en marche et vite. Pour cela, des décisions urgentes sont à prendre. Elles ont trait à la justice transitionnelle, aux revendications sociales, au «nettoyage du système» pour le retour des investissements tant intérieurs qu’extérieurs.
Pour le moment, le gouvernement mené par Ennahdha peine à rassurer. D’ailleurs, il semble ne pas parvenir à se rassurer lui-même. A l’heure où se tient le Forum économique mondial de Davos et que la Tunisie y reculait de 8 places, le pays souffre à cause d’un déficit d’image et de vision. Une image et une vision qu’il faut rétablir au plus vite en ouvrant le dialogue et en affichant une feuille de route claire et précise. Sans cela, c’est le pays qui reste en déroute.