Quel profil a-t-on de l’enseignant tunisien?

enseignementtunisie1.jpgNon, vraiment, les enseignants tunisiens ne sont pas tous des paresseux. Ils font tourner la boutique. Aiment leur métier et leur discipline. Conduisent les jeunes apprenants sur le chemin rocailleux de la connaissance. Ont le souci permanent de faire réussir leurs élèves. Essaient de transmettre leur enthousiasme. Stimulent la curiosité et l’intelligence. Donnent le goût -même inachevé- du travail bien fait. Portent un système au bout du rouleau. Subissent les oukases de l’autorité de tutelle. Nourrissent intellectuellement chaque jour ceux qui feront la Tunisie de demain. Initient à la beauté des maths. A la rigueur des sciences. Se situent, pour la plupart, sur le terrain de l’altruisme et de la gratuité. Dans une société de compétition, ultraconcurrentielle, qui ne jure que par le paraître, l’utile et le libre-échange.

Dit autrement, sans les enseignants, leur abnégation et leur amour du métier, l’école tunisienne, victime de la massification de l’enseignement et des réformes idéologiques des uns et des autres, se serait effondrée, déclare un chercheur pédagogue, depuis belle lurette et ferait moins bien que tous ses résultats moyens.

D’ailleurs, l’année écoulée a sanctifié, chez l’opinion publique tunisienne, la figure du «prof engagé», «passeur culturel», pédagogue bien veillant, capable de déjouer et de transcender les clivages, qui s’est mobilisé, aux côtés des familles et de larges pans de la société civile, pour assurer le bon déroulement des examens et la consécration des élèves méritants et assidus. Le personnage du professeur est apparu alors en mission. Missionné. Enserré dans les pressions que lui imposent les attentes convergentes de son environnement immédiat. Dans un contexte politico-social tendu, confus et bouillonnant, où tout tanguait.

Eh oui… Alors que l’enseignant n’est plus le notable d’antan. La référence de son environnement. Que son image dans notre société de consommation s’est effilochée au fil des ans. S’est dégradée au fur et à mesure du repli de l’Etat providence. Et du triomphe des forces du marché et de l’individualisme. Qui ont pris en main, dès le début des années soixante-dix, la destinée du pays. Il tente quand même d’être vent debout. De se réinventer. De se surpasser. D’imprimer sa marque sur les événements. De porter le fer dans la plaie. De se donner des leviers. De ne pas capituler. De garder le cap au milieu des bourrasques heureuses.

C’est ainsi que certains sont présents, par choix, dans des zones enclavées que d’autres ont désertées. Donnent le goût d’apprendre aux élèves. Survivent. Militent dans des associations. Animent des forums de discussion au sein des établissements. Prennent part au débat public. S’exposent au risque de verser dans l’activisme. Prennent, avec une philosophie stoïque, les coups que les hommes de terrain sont là pour prendre. Afin d’éclairer, de contenir et d’éviter la confusion. Le messager se confond pour ainsi dire avec le message. Une gageure dans un monde où l’école n’a plus le monopole de la connaissance. Une gageure quand, depuis des années, les enseignants se sentent agressés, montrés du doigt comme un groupe nanti de vacances et de privilèges, n’hésitant pas à racketter les familles tunisiennes à coup de cours privés.

A l’heure où la Tunisie postrévolutionnaire continue à bouillonner et le quotidien des classes s’enliser dans la précarité, la famille de l’éducation souffre de plus en plus, certes, mais continue son bonhomme de chemin. Car même lorsque le découragement progresse, c’est l’avant-garde engagée, bénévole et généreuse, qui, par contagion, fait tenir debout le système.

«Times are changing», comme dit la chanson. Mais à l’évidence, la silhouette du grand professeur, ce lanceur d’alertes, traverseur de frontières et de cultures, éveilleur des ambitions, qu’on a toujours regardé avec les yeux de l’amour, continuera à marquer les mémoires et à traverser les générations. Contre vents et marées.

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