Dans les amphis universitaires et les classes du secondaire, nous dit-on, les
élèves et les étudiants, des sciences humaines notamment, attendent toujours de
l’enseignant une histoire bien ficelée. Un cours magistral rôdé. Bien construit.
Captivant. Fluide. Qui coule de source. Sans trop d’efforts. Bref, un petit
bijou pédagogique où le débit, le ton, le choix des mots, les répétitions et les
récapitulations doivent être au firmament de l’excellence. C’est la vision
pédagogique d’une e-génération, douée pour la fulgurance, née avec un clavier au
bout des doigts et qui considère Internet comme un meilleur terrain de jeux, de
communication et de savoir.
Autrement dit, quelle relation pédagogique établir dans une époque charnière
entre la société du livre et la société numérique?
«Ils viennent en cours comme ils vont au cinéma pour voir un film. L’enjeu est
donc de capter leur attention, de jouer en permanence sur leur motivation»,
souligne un professeur aujourd’hui à la retraite. Capter l’attention… Une
gageure avec des jeunes qui, enserrés dans le monde virtuel de l’Internet,
englués dans la morgue du bombardement médiatique et la balourdise idéologique
des uns et des autres, depuis le triomphe de la révolution du Jasmin, écoutent
tout d’abord l’enseignant d’une oreille distraite avant de commencer par prendre
des notes au bout d’une demi-heure. Sans stigmatiser ou antagoniser quiconque,
il s’agit à ce moment là d’enclencher le cercle vertueux de l’interactivité.
D’où ces questions affinées progressivement. Avec des morceaux de réponses
s’emboîtant. Miracle! Les
étudiants se prennent en main. S’autogèrent. On les
laisse se confronter aux problèmes, ensuite, on leur donne des pistes. Parfois
des clés.
«Quoi qu’il en soit, le tout est de savoir s’y prendre, au quotidien, avec eux.
En les bousculant dans leur confort, s’il le faut», affirme notre interlocuteur,
qui estime agir ainsi comme un acteur puisque dès le début du cours,
explique-t-il, les apprenants sont mis sous tension.
«Pour lutter contre leur passivité, j’apostrophe, j’interpelle, je valorise et
je stimule», conclut notre vis-à -vis, pour qui la génération clavier et souris
exige des modes d’approche différents. Le professeur doit bouger pour gagner la
confiance, secouer les léthargies et descendre «dans la fosse». Au milieu de son
auditoire. Dans les travées. Et pousser les récalcitrants dans leurs derniers
retranchements. Evidemment, les timides peuvent vivre cela comme une agression.
Mais le partage est au bout de la descente. Du mixage des idées. Car une bribe
de réponse est souvent là pour homogénéiser la classe. Et relancer le débat.
Finalement, tout repose sur la motivation. Il faut savoir séduire. Inventer de
nouvelles manières d’enseigner. Dépasser l’immédiateté. Inciter au travail
scolaire collaboratif. Trouver de nouvelles scénarisations de cours. Accompagner
plus que diriger. Créer, chez l’apprenant, le déclic de la compréhension.
Coacher en classe et en ligne. Distiller des conseils. Dire des anecdotes. Car
les élèves et les étudiants attendent du prof des initiatives et des
connaissances. Certes… Mais ils veulent rire aussi. Et réussir… Autant de moyens
pour s’élever. Puisque la grandeur, disait André Malraux, est dans les questions
qui s’agitent et les destins qui se préparent.