C’est à la faveur du séminaire pour la relance du tourisme tunisien et des allocutions de Hamadi Jebali, chef du gouvernement, d’Elyes Fakhfakh, ministre du Tourisme, et d’Abdelkrim Barouni, ministre du Transport, qu’il ressort que nos ministres sont encore dans une logique de campagne électorale. Leurs propos étaient marqués par une énonciation de problèmes et une énumération de bonnes intentions.
Rien de concret ni de palpable. Un tâtonnement qui doit laisser place à une batterie de décisions pour entrer dans le vif du sujet. Les problèmes on les connaît et les solutions existent. Agissez!
Au séminaire sur la relance du tourisme, les gouvernants ont livré à l’assistance nombreuse et en attente beaucoup de bonne foi. Ils ont livré des «on doit travailler», «on doit restructurer», on veut, on va, on souhaite, on ambitionne… Alors qu’on les attendait plus engagés et engageants. L’action, ce sont eux qui la mènent désormais. Ils sont au pouvoir pour répondre aux attentes d’une destination et non plus se fourvoyer en louables déclarations.
Relancer le tourisme tunisien durant une demi-journée de travail en réunissant des opérateurs tunisiens et étrangers par des messages politiques aurait pu être une option si elle était accompagnée d’un plan d’action précis avec des budgets pour la formation, la mise à niveau du tourisme, une annonce de date pour l’Open sky… Au lieu de quoi le gouvernement s’est enlisé dans des discours sur lesquels la réalité du terrain prend le dessus.
Restée sur sa faim, l’assistance a fini par être plus désorientée qu’avant le séminaire. Elle se serait contentée de présentation d’une nouvelle charte graphique, d’une mise en perspective des projets en cours (comme la création d’une nouvelle compagnie aérienne, le projet qatari de Tozeur, l’ouverture de 4 à 5 nouvelles unités hôtelières, la création de nouveaux golfs…). Elle aurait pu apprécier de voir le nouveau stand avec lequel la destination participe aux salons et foires… Une compilation en images aurait fait plus d’effet que des discours soporifiques inscrivant la démarche dans plus de vitalité et traduisant une amorce de changement dans lequel les opérateurs touristiques ont autant envie que besoin de croire.
Au lieu de quoi, le gouvernement a paru si peu préparé à la relance. Comment convaincre lorsque l’on est si peu sûr de son emprise sur l’Etat et ses structures et dépourvu d’expérience et d’expertise en la matière? Les gouvernants sont issus de partis politiques qui ont le plus planché sur le secteur du tourisme durant la période électorale. N’avaient-ils pas présenté une vision et une batterie de mesures qu’ils se juraient d’appliquer aussitôt au pouvoir?
Pour en revenir au séminaire proprement dit, le gouvernement a opté, nous dit-on, pour une voie hautement politique. Pourtant, ils savent que les opérateurs économiques fonctionnent aux incitations et obéissent aux lois du marché. Pour se remettre en scelle, il fallait aiguiser leurs appétits et commencer par s’engager à rétablir la sécurité. Celle-ci est une condition fondamentale pour le retour du tourisme. Elle est la seule garante du rétablissement de la confiance si vitale à l’investissement.
Ces professionnels voulaient qu’on s’adresse à eux avec franchise. Ils n’avaient surtout pas besoin d’une version édulcorée et adoucie qui exhibe une situation sécuritaire maîtrisée alors que des incidents troublent le pays. Qualifiés de «faits divers» ou «d’exagérations» ceux-ci éclatent ici et là. La veille du séminaire, une manifestation anti-directrice du FMI, qu’aucun responsable du gouvernement n’a pris du reste la peine de condamner, se tenait sur l’avenue Habib Bourguiba par des salafistes dont le gouvernement ne s’est jamais clairement démarqué et condamné. Le quotidien de la Tunisie se déroule en termes de complots, d’ingérence étrangère, de terrorisme, de Bir Ali Ben Khlifa, de redéploiement d’Al Qaïda dans la région et depuis samedi 4 février d’un changement de ton fracassant de la diplomatie tunisienne…
Une réalité bien loin de la situation paisible vendeuse de détente et de soleil. Une image et un produit dont on veut et à juste titre se démarquer mais encore faut-il commencer par lui construire une alternative. Convient-il aussi de mentionner qu’une vague de criminalité s’abat sur le pays et à laquelle l’exécutif doit mettre fin si l’on veut faire au moins redémarrer un tant soit peu la machine en attendant de construire la destination attrayante de demain.
Autant de signes qui marquent les esprits et poussent à se demander si la question du tourisme dans un pareil contexte est véritablement d’actualité. La situation inspire l’attentisme, la circonspection et dessine sérieusement, au delà des contours d’une saison touristique fortement menacée, une profonde remise en cause de l’action du gouvernement provisoire. Ne dit-on pas que la réalité a ce défaut de souvent démentir les discours!
Les réponses politiques sont effectivement un choix que l’on ne peut que respecter en situation de transition démocratique. Dans ses propos qu’ils voulaient rassurants, Hamadi Jebali n’a eu de cesse d’inviter au dialogue, à la concertation et à la collaboration. Cette option pas très audacieuse reste élégante. Encore fallait-il aller jusqu’au bout de la démarche en se donnant la peine d’écouter ses invités.
Le chef du gouvernement a livré son discours en quelques minutes pour repartir aussi vite qu’il est arrivé, laissant dans la salle quelques opérateurs arrivés le jour même dans leur jet privé et pesant aussi lourd que le chiffre d’affaires de la destination Tunisie pantois. Des gens qui souhaitaient sonder de visu et débroussailler une situation qui prête à confusion même si tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une grande opportunité pour la région et bien entendu pour les affaires.
Concrètement, ils auraient souhaité en savoir plus sur le chef du gouvernement et les options qu’il prend pour la Tunisie de demain. L’homme qui dirige l’exécutif vient d’un parti islamiste, ce qui reste pour eux synonyme d’inquiétudes. Surtout que durant la campagne électorale, le parti Ennahdha n’a eu de cesse de se «vendre» comme un modèle s’inspirant du modèle turc dont il s’éloigne de plus en plus.
Bien qu’il ait tenu un discours de chef de gouvernement en évitant de faire l’amalgame parti-gouvernement, Hamadi Jebali a vraiment raté une occasion de rassurer. Mais en a-t-il seulement les moyens? Le projet de Constitution de son parti ne peut donner du crédit à la volonté d’ouverture et de modernité qu’il affiche. Les opérateurs tunisiens qui sont les premiers vis-à-vis des décideurs étrangers sont ceux aussi par qui passent le stress et la peur de demain. Une situation économique précaire, une stigmatisation de la société, une islamisation rampante … Autant d’indicateurs pour une grille de lecture alarmante. Ils ne sont pas sans impact sur les prises de décision, du moins pour la saison à venir.