Il est étonnant de voir à quel point dès que l’on mélange le sacré au pouvoir, on devient intouchable. Il est vrai également qu’il y a deux siècles, un certain Karl Marx, décrétait que “la religion est l’opium du peuple“. Et il ne s’agit pas, là, d’une diatribe de sympathisants gauchistes et gauchisants comme on se plait à le dire pour tout juste réduire le débat national à une joute religieuse et morale alors que nos problèmes sont autrement plus importants. Ils touchent la pauvreté, le chômage, le développement et les déséquilibres régionaux.
Ainsi, on a fini par nous faire croire que tous ceux qui critiquent un tant soit peu le pouvoir en place s’attaquent à Dieu, du coup juger une décision inadéquate, un choix impromptu ou une orientation qui engagent tout le pays devient blasphématoire!
Que tous ceux qui doutent de l’identité culturelle et de l’appartenance religieuse du peuple tunisien soient rassurés. Nous sommes par essence musulmans et dignes héritiers pas seulement de la culture arabe mais de civilisations millénaires qui ont fait de nous un mélange singulier… Avons-nous besoins de le dire et de le redire à tout moment? Sous peine d’être accusés de «laïcité», franc-maçonnerie ou pire de «modernité» car être moderne, c’est aussi une accusation dans la Tunisie de la deuxième République.
Le fait est qu’aujourd’hui, la scène publique s’enlise de plus en plus dans de faux débats qui ne font que retarder les échéances économiques et sociales et nous égarer les uns et les autres dans de fausses problématiques dont nous ne soupçonnions même pas l’existence, il y a quelques mois.
Aucun contrôle, aucune autorité
Les Tunisiens souffrent d’un coût de la vie de plus en plus élevé (à titre d’exemple, 4 œufs à 800 millimes, rien que ça), le kilo de la viande d’agneau dépasse les 18 dinars et les fruits sont devenus trop chers pour la classe moyenne qui n’arrive plus à joindre les deux bouts.
Personne n’arrive à contrôler les prix, et d’ailleurs qui contrôle quoi? «Trouvez-vous normal que dès que la population se met en colère, elle «dégage» le gouverneur? Nous assistons à la désintégration de l’Etat et à une mise à plat de son autorité et de son prestige en l’absence d’un pouvoir central affirmé. Est-il courant de renvoyer de son poste le gouverneur de Kébili comme s’il était un moins que rien alors qu’il représente l’Etat dans la région? Pourquoi n’avons-nous pas vu une position claire par rapport à cela et quel est le but derrière ce mutisme intentionnel, à mon avis?», déclare un notable de la région. D’ailleurs est-il normal que nos garde-frontières ne soient pas protégés, qu’ils soient menacés par les armes des contrebandiers sans moyens de défense adéquats?
Une situation sécuritaire fragile et risquée
La situation sécuritaire est de plus en plus fragile, un gouvernement qui prend des décisions à l’encontre de la logique et du bon sens comme le fait de libérer plus de 9.000 prisonniers de droit commun sans aucun préparation préalable, qui est incompréhensible. Le climat sécuritaire est encore plus fragilisé car laissé à la merci des actes de violence des salafistes et du grand banditisme.
«La sécurité des touristes reste quand même douteuse puisque des touristes français ont confirmé à ma sœur la semaine dernière avoir été braqués dans le nord et qu’ils l’avaient échappé belle. Le bus d’autres touristes a été arrêté par des grévistes en pleine route alors qu’ils étaient en excursion à Gabès, ce qui ne les a aucunement rassurés», témoigne une résidente française en Tunisie, gérante d’une maison d’hôtes.
Les responsables de la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV) et à leur tête Mohamed Ali Toumi qui modérait, il y a quelques mois, tous sourires, un séminaire sur le tourisme en présence de Hamadi Jebali, pas encore chef du gouvernement, désespèrent. Leurs recommandations pour sauver leur secteur sinistré sont renvoyées aux calendes grecques. Sur le site Tourismag, il vient de déclarer: «Plusieurs dizaines d’agences de voyage en Tunisie risquent de déposer bilan très prochainement si le gouvernement ne réagit pas immédiatement». Et d’ajouter: «Ces dépôts de bilan entraîneront de facto la mise au chômage forcé de plusieurs centaines d’employés, voire de plusieurs milliers dans les prochains mois».
Le tourisme agonise, les investissements ne reprennent pas mais le gouvernement reste optimiste et distribue promesses et déclarations d’intention. La dernière concerne la création d’une zone de libre-échange entre la Tunisie et l’Algérie qui créerait près de 20.000 emplois. Combien de temps prendra ce projet avant d’être mis sur les rails? «Nous avons besoin de solutions immédiates», tonne un diplômé de la région du Kef.
Fausses informations rassurantes
Et même le mirage d’avoir des gisements importants de pétrole dans notre sous sol reste au stade d’une information non confirmée et même douteuse rapportée par une personne qui, selon des spécialistes de la question, «travaillerait en dehors de sa spécialité et a dirigé cette étude pour l’USGS. Ceux qui ont véhiculé l’information d’une Tunisie baignant dans le pétrole représentent une petite société qui a pris une concession en Tunisie et qui veut lever de l’argent pour faire de l’exploration et des forages de recherche.
Ils ont commandé une étude qui évalue “théoriquement” les volumes probables en place. Suite à cela, leur action a grimpé, et ils peuvent maintenant, peut-être, se payer leur campagne de sismique…». La Tunisie aurait même été forée comme un «gruyère» et rien n’a été trouvé. Les majors qui ont les plus hautes compétences et les moyens ont quitté ce pays. Informations confirmées par l’Association tunisienne de la transparence dans l’énergie et les mines.
Au ministère de l’Agriculture, qu’attend-on pour soutenir les petits agriculteurs dans la contraction de prêts pour les semences? D’autant plus que les coopératives qui leur avançaient les aides dont ils avaient besoin sont, elles-mêmes, en difficultés? Le rééchelonnement des prêts agricoles n’est plus d’actualité et avec ces pluies, il y a un risque de mitadinage du blé. Plus de spots publicitaires de sensibilisation et de vulgarisation à l’intention des agriculteurs en haute saison, et si ce n’est la création récente du syndicat national des agriculteurs de Tunisie, ils seraient abandonnés à eux-mêmes en l’absence d’encadrement de quelque forme que ce soit, de liquidités et de soutien de l’Etat.
Au ministère de l’Enseignement supérieur, on réduit le nombre des bourses à l’étranger. Bizarre! Alors que c’est le contraire qui devrait avoir lieu. A tel point qu’un jeune directeur d’un cabinet de formation s’est éclaté: «Au lieu de réduire le nombre de bourses d’études à l’étranger, pourquoi ce gouvernement et son président ne réduisent pas le nombre de ministres-conseillers, conseillers et d’attachés? Ou bien les bourses sont réduites pour trouver des sources de financement aux salaires et aux avantages des nouveaux nantis et des privilégiés de l’Etat? C’est vraiment consternant!
Sur le terrain, les anciennes cellules du RCD sont devenues des écoles coraniques dans la plupart des cités populaires monopolisées par des prêcheurs qui refusent de partager ces espaces avec des associations scientifiques et culturelles et empêchent les jeunes de se former l’esprit par le savoir autant que par la foi. Car la Tunisie a toujours été abrité des «kouttabs» dans lesquels les familles tunisiennes sont heureuses d’envoyer leur progéniture y apprendre le coran et enrichir leur maîtrise de la langue arabe. Ces familles seraient heureuses de savoir que ces espaces ne servent pas qu’au formatage des têtes et des intelligences mais aussi à ouvrir leurs horizons sur les autres et le monde.
Ennahdha et ses alliés qui donnent l’impression de vouloir s’installer dans le pouvoir avec les 18 mois déclarés de Hamadi Jebali et les 3 ans désirés de Moncef Marzouki devraient revoir leurs copies au plus tôt dans le sens d’une plus grande ouverture sur la Tunisie citadine, les régions et les zones rurales. Ils devraient prendre plus au sérieux les critiques, revendications et recommandations. Les Tunisiens sont un seul peuple et, in fine, ce qu’ils veulent, c’est vivre dignes et respectés. Il n’y a pas de dignité sans travail et il n’y a pas de respect sans l’acceptation de l’autre aussi différent soit-il tant que le but est le même pour tous.