Nulle autre ville que Kairouan ne fête comme Kairouan le Mouled. Epicentre de la fête du Mouled, le Mausolée du Barbier ne désemplit pas. Le patio central, couvert, à l’occasion, par une bâche de couleur verte aux couleurs de la ville sainte, et qui est placé face à la pièce accueillant le tombeau du Saint le plus réputé de la cité, des grappes de femmes se constituent. Assises sur des tapis, elles mangent et boivent du thé pendant des heures entières. Certaines d’entre elles sont venues d’El Oueslatyia, de Hajeb Lâayoune, de Sidi Amor Bouhajla, ou d’autres villes qui entourent Kairouan. Douja est, quant à elle, venue de Msaken, ville à 9 kilomètres de Sousse, localité située, précise-t-elle, «sur la route menant à Kairouan», pour la circoncision de son fils, qui s’appelle Sahbi, le nom donné, entre autres, justement au Barbier.
Reportage.
Deux barrières métalliques, d’environ un mètre de haut et peintes en vert, plantées en plein milieu de la route qui vous ramène de Tunis, à quelques encablures des bassins des Aghlabites, vous signifient qu’il faut soit s’arrêter soit rebrousser chemin. En les dépassant –à pieds- vous êtes saisi, et au fur et à mesure que vous avancez en direction du Mausolée de Sidi Sahbi, dit le Barbier, un des compagnons du prophète Mohamed (SAWO), par un spectacle des plus saisissants.
Une foule multicolore et hétéroclite s’affaire, ce vendredi 3 février 2012, aux alentours de 15 heures 30, veille du Mouled, fête commémorant la naissance du prophète Mohamed, tout le long d’un circuit de quelque quatre kilomètres, où l’on ne peut circuler qu’à pieds; un circuit qui se prolonge jusqu’au quartier d’«El Hajjem» (le coiffeur), à la droite du Mausolée, et jusqu’au rond-point d’«El N’hayssya» (le souk des artisans cuivreurs) en face du même Mausolée.
Ici et là, le visiteur est assailli par des centaines d’étals qui vendent de tout dans un capharnaüm où se mêlent ancien et moderne. On y vend de la poterie, des services en porcelaine, des nappes, des couvertures, des parfums de pacotille, des lunettes de soleil, des peluches, des bonbons, des jouets… on y rencontre même de la friperie.
Une aubaine pour accueillir l’Assida de Zgougou
Bravant le froid glacial et la pluie, les commerçants sont installés là pour au moins jusqu’à samedi après midi. Ezzeddine fait partie du lot. Il est originaire de la ville d’Assomâa, dans le gouvernorat de Nabeul. La trentaine dynamique, il a pris le pli de venir ici tous les Mouleds que Dieu fait. Il a installé, pour la circonstance, et à l’aide d’un rouleau de scotch, un micro devant sa bouche, encourageant ses clients à venir s’approvisionner chez lui. Et au fur et à mesure que ces derniers sont attirés par son discours, il ne cesse de baisser ses prix. Il vend les cinq tasses, d’abord, à cinq dinars, puis à quatre, enfin à trois. «Une aubaine pour accueillir l’Assida de Zgougou (faite d’une pâte de pins d’Alep moulus et surmontée de crèmes et de fruits secs), que préparent les ménagères à l’occasion du Mouled», lance-t-il.
Comme son ami, Mansour, qui est venu l’aider et lui tenir compagnie, il y a fort à parier qu’il ne fermera pas les yeux pour au moins vingt quatre heures. Pour survivre, il devra essayer de tenir le coup en ingurgitant une grande quantité de cafés et en mangeant un ou deux «Keftteji» (plats ou sandwichs qui comportent des tomates, des piments, des pommes de terre et des œufs), autre attraction culinaire de la ville, dans les environs. Les commerçants qui nourrissent tout ce beau monde ne ferment pas en effet, à l’occasion, boutique.
Il en est de même des marchands de makroudh, ce traditionnel gâteau kairouanais, sous forme de losange à base de semoule frit à l’huile et trempé dans le miel et le sucre et fourré principalement de dattes. Installé tout juste face à l’ancien bâtiment abritant la société SOBOCO-Les Confiseries des Aghlabites, une des boutiques vendant le makroudh accueille ses nombreux clients. Ce produit du terroir kairouanais est maintenant proposé pour tous les goûts. Outre le makroudh traditionnel, donc à base de semoule frit à l’huile et trempé dans le miel et le sucre et fourré principalement de dattes, on retrouve le makroudh à l’huile d’olive, le makroudh aux amendes, le makroudh cuit au four, et un makrourh… au chocolat. «Comme quoi rien n’arrête le progrès», estime, en esquissant un large sourire, un riverain. Qui dit qu’«on aura tout vu».
Les odeurs du méchoui merguez vous asphyxient
Epicentre de la fête du Mouled, le Mausolée du Barbier ne désemplit pas à son tour. Le patio central, couvert, à l’occasion, par une bâche de couleur verte aux couleurs de la ville sainte, et qui est placé face à la pièce accueillant le tombeau du Saint le plus réputé de la cité, des grappes de femmes se constituent. Assises sur des tapis, elles mangent et boivent du thé pendant des heures entières.
Certaines d’entre elles sont venues d’El Oueslatyia, de Hajeb Lâayoune, de Sidi Amor Bouhajla, ou d’autres villes qui entourent Kairouan. Douja est, quant à elle, venue de Msaken, ville à 9 kilomètres de Sousse, localité située, précise-t-elle, «sur la route menant à Kairouan», pour la circoncision de son fils, qui s’appelle Sahbi, le nom donné, entre autres, justement au Barbier… Le circonciseur est là avec sa mallette, sa blouse blanche et sa patience des grands jours. Il s’appelle Essayed, autre nom donné au Barbier, et est infirmier. Toute la famille de Douja attend son tour pour passer dans la pièce accueillant le tombeau. Le cérémonial terminé, on poussera des youyous après quoi tout le monde prendra la 4X4 du papa de Sahbi qui attend dehors pour revenir à Msaken.
Dehors, la place du Grand Maghreb Arabe, situé en face du Mausolée, la foule des grands jours est bien là. Les marchands ambulants aussi. Les odeurs du méchoui merguez vous asphyxient. C’est dans cet espace que le «Hezb Attahrir», parti islamiste non reconnu, a planté sa tente pour faire connaître son «Destour» (Constitution) islamique faite de 191 articles prônant le Califat et son programme de gouvernement.
«Donner à partager cette vie d’antan»
En face, un petit parc d’attraction, le Kids Land, offre des trapèzes à de nombreux enfants venus passer quelques bons moments. Sous le regard de leurs parents qui se sont attablés pour manger un sandwich ou boire un café.
Samedi 4 février 2012. 10 heures trente du matin. Place des martyrs, à Bab Jelladine, la principale artère de la ville. L’association caritative «Al Baraka Al Khayria» a planté, dans l’esplanade, qui fait face à la muraille, une tente de couleur blanche. Barbe fournie et blouson noir, un militant de l’association appelle les passants à venir faire œuvre de charité. Il présente, pour les encourager, les réalisations de l’association née après la révolution du 14 janvier 2011: prise en charge des dépenses de pas moins de 300 familles au cours du mois de Ramadan, Offre de quelque 200 cartables à l’occasion de la récente rentrée scolaire, fourniture de 500 repas pour les malades accueillis à l’hôpital Ibn Jazzar de Kairouan, etc.
Un peu plus loin, les alentours de la Grande mosquée de Kairouan sont noirs de… voitures. Autre épicentre des festivités du Mouled, la Mosquée Okba Ibnou Naffâa, qui se dresse là depuis le 7ème siècle de notre ère, a ajouté quelques drapeaux à ses couleurs. Il faut dire qu’elle a accueilli, la veille, le chef de l’Etat, Mohamed Moncef Marzouki, et le Premier ministre, Hamadi Jebali.
Elle accueille ce matin Béchir et son épouse Mouldia, née le jour du Mouled, originaires de Kairouan, qui vivent à Tataouine où ils travaillent tous deux dans un lycée. Béchir est venu faire une prière tandis que sa femme est allée s’abriter de la pluie dans une boutique de produits d’artisanat des environs.
Rencontrée dans cette boutique, Souad, la soixantaine, ancienne employée de la Régie des tabacs de Kairouan, soutient que le Mouled a, de nos jours, trop perdu de son charme. Souad se souvient encore de l’ambiance qui y régnait il y a seulement quelques années quand les habitants de la ville se préparaient au Mouled, deux semaines à l’avance, badigeonnant au «jir el arbi» (oxyde de calcium), tous les lieux saints (mosquées, marabouts et autres zaouïas) et les murs de leur maison; lorsque le souk était rempli des odeurs d’encens et de «Loubben» (gomme arabique); lorsque les habitants abattaient, à côté du cimetière de Ouled Farhane, qui jouxte la Mosquée Okba, des moutons et exhibaient des kilos de merguez… «Plus rien de cela, aujourd’hui», regrette-t-elle. Sans oublier d’ajouter que la délégation spéciale, qui a remplacé le Conseil municipal, depuis le 14 janvier 2011, «ne fait rien pour nous donner à partager cette vie d’antan».
La nuit tombée, les habitants regagnent leurs foyers et les commerçants ferment boutique. La rue n’est plus pratiquement occupée que par les bennes des services municipaux qui nettoient les ordures laissées par les commerçants et… rangent définitivement les barrières métalliques qui n’ont que trop empêché les voitures de circuler dans les artères de la ville.