Wajdi Ghoneim, à qui l’on déroule un tapis rouge pour une série de conférences dans différentes mosquées du pays, est un hôte qui ne fait pas honneur à la Tunisie postrévolution. Fervent défenseur de l’excision, il s’est opposé au régime de Moubarak en Egypte ce qui fait de lui, aux yeux de certains adeptes de l’islamisme, une icône.
Sa conférence écourtée d’hier (dimanche 12 février 2012) dans une salle archicomble à «El Kobba» a dérapé en tenant des propos racistes et haineux principalement anti juif et choqué ceux qui ne comprennent pas à quoi rime une invitation pareille. Intimider, choquer ou encore diviser?
Une partie des Tunisiens ne tremble pas de peur mais de colère. Une révolution contre les femmes est en cours en Tunisie où les attaques contre leurs acquis deviennent de plus en plus nombreuses. Après les épisodes “laquit“, mères célibataires, mariage “orfi“, c’est quasiment l’apothéose avec un invité qui légitime l’excision. Une pratique barbare et disparue dans notre pays depuis des lustres.
Si l’OMS (Organisation mondiale de la santé) estime que dans le monde plus de 130 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations sexuelles, ce sont chaque année 2 millions supplémentaires qui risquent de connaître l’ablation de leur clitoris. La plupart de celles qui subissent ces mutilations vivent dans 28 pays africains, au Moyen-Orient et dans des pays d’Asie. La Tunisie a quitté le rang des pays mentionnés depuis belle lurette grâce à des acquis considérables en termes de législation, de santé, de pratiques sociales et de mentalités. Encore faut-il que cela perdure!
Singularité tunisienne? Probablement. Celle-ci ne laissera pas pareilles pratiques inhumaines se réinstaller, mais il n’est pas dit que les propos soutenus par ce prédicateur virulent autant qu’influent, vraisemblablement, ne seront pas sans impact sur les esprits les plus conditionnés. L’alerte doit être donnée dans tous les services médicaux et sociaux du pays pour mesurer l’impact d’un tel raisonnement qui met en avant l’excision pour la préservation de la virginité, l’amélioration du plaisir sexuel masculin par le rétrécissement du vagin et la protection contre le désir féminin considéré comme malsain.
Si certains, sous couvert de liberté d’opinion et d’expression, ne prennent pas position, il convient de mentionner que la présence de Wajdi Ghoneim est un affront pour la société tunisienne et un danger pour ses petites filles. C’est à l’Etat d’empêcher ces conférences dans les mosquées mais c’est aussi à lui de garantir le respect des droits de l’homme et de l’enfant.
Les questions tombent alors en cascade: Où est le (ou la) ministre en charge de la Femme? Quelles sont les positions des deux présidents (de la République et de l’Assemblée constituante) qui sont avant tout médecins. Où sont les médias? Quelle est la position d’Ennahdha et des autres partis politiques tunisiens qui se font bien silencieux sur le sujet? Quelle est la position officielle du gouvernement?
La conférence de Wajdi Ghoneim a-t-elle été écourtée? Tôt dans la journée d’hier des vidéos qui le prétendaient circulaient sur le net.
Diverses accusations sont évidemment portées vers le camp des «laïcs» qui constituaient, selon certaines versions, une menace pour le déroulement de la manifestation. Une version largement contestée par de nombreux témoins sur place comme celui-ci: “Rien n’a été écourté et ce sont les services d’ordre d’Ennahdha qui s’occupaient de la sécurité. Des drapeaux de ce parti se vendaient à 1d500 alors que ceux de la Tunisie se vendaient 1Dt. J’y suis restée jusqu’à la fin et peux vous confirmer que ce sont eux qui ont agressé la poignée de manifestants restés sur le parking. J’ai même été agressée”.
Quoiqu’il en soit, il reste surtout à éclaircir que c’est probablement par peur des débordements en interne dans la salle que la conférence a été écourtée. Certains esprits se sont échauffés au point de proférer à nouveau des slogans anti juifs qui rappellent les dérapages de l’affaire Ismaël Hanniyah devant l’aéroport de Tunis-Carthage et qui a coûté cher au gouvernement et à la Tunisie.
Quid de la réaction des politiques?
Pour en revenir à l’excision, celle-ci est une pratique d’un autre temps qui enfonce la femme au plus bas de l’échelle sociale. Alors que certains manipulateurs la prônent, les vrais «ulémas» confirment que le Coran ne contient aucun texte y faisant allusion. De même, il n’y a aucun consensus sur un arrêt légal (hukm charri) concernant cette question, tout comme aucune analogie ne peut s’y appliquer.
Depuis les années 40, des «fatwas» affirment que l’excision des filles n’a rien à voir avec la «sunna» et que si certains fous de Dieu ne les reconnaissent pas, c’est parce qu’ils ne respectent pas l’être humain. Ces gens-là ne sont tout simplement pas les bienvenus en Tunisie. C’est à l’Etat de veiller sur le choix des invités de notre pays. La Tunisie qui a inspiré le respect du monde entier ne peut accepter des personnages de cet acabit qui donnent la pire des images et des impulsions en ces temps fragiles de transition démocratique.
Face à autant de régressions, les femmes tunisiennes restent vigilantes et se solidarisent un peu plus tous les jours avec le soutien de leurs frères, pères, fils et amis… Un rejet en bloc de cette incursion plus malintentionnée que maladroite ne parvient hélas pas à mobiliser la société civile. Dimanche 12 février devant la Kobba à peine une quarantaine de manifestants ne digèrent pas qu’ils soient si peu nombreux à s’être déplacés malgré une virulente polémique via les réseaux sociaux.
Le conseil de l’ordre des médecins a condamné la présence de ce défenseur de l’excision et dans l’attente de plus de réactions, ils ne sont pas les seuls à souhaiter que la révolution soit le catalyseur pour plus de tolérance et de paix , travaillant à ce que la Tunisie soit un pays respectueux des droits de l’Homme et de l’enfant.
Un pays où les femmes profitent de leur clitoris pour jouir et vivre pleinement de leur sexualité. Jusqu’à l’enfantement si l’amour, la vie, la nature et le bon Dieu le permettent!