Une récente interview de Rached Ghannouchi à un confrère marocain donne à penser que ce dernier dirige le pays. L’homme parle de «supprimer le visa pour les ressortissants des pays du Golfe».
Qui de Ghannouchi, de Marzouki ou encore de Jebali dirige réellement la Tunisie? Il ne s’agit pas d’une hypothèse de travail, car cette question n’a cessé d’être posée tant le chef du mouvement Ennahdha donne l’impression de guider l’action du gouvernement dont le chef semble lui obéir au doigt et à l’œil.
C’est du reste l’impression que l’on a, par endroit, en lisant une récente interview donnée par Rached Ghannouchi à notre confrère marocain Tel Quel qui a décidé de consacrer sa “couv’“ à cette interview (n° 509, du 11 au 17 février 2012, pp.36, 36, 38 et 39).
Il ne faut pas être un spécialiste de l’analyse du discours encore moins un spécialiste de l’analyse de contenu pour deviner qui de Ghannouchi ou de Jebali dirige le gouvernement. Force est en effet de constater que Ghannouchi ne présente pas des propositions, mais annonce les mesures qui seront prises par le gouvernement et oriente l’action de ce dernier.
«Nous devons leur donner leurs droits»
Voici ce qu’il dit au sujet des mesures qu’il faudra prendre pour encourager un plus grand flux d’investissement en provenance des pays du Golfe: «Aujourd’hui, nous allons nous repositionner vers le monde arabe et, par exemple, supprimer le visa pour les ressortissants des pays du Golfe, comme cela a été fait il y a des années pour les ressortissants européens». Il est à se demander si cette décision de souveraineté ne devait pas être annoncée par le président de la République, le chef du gouvernement ou par le ministre des Affaires étrangères.
Les déclarations de Rached Ghannouchi à notre confrère Mme Férida Ayari, correspondante de Tel Quel à Tunis, comportent des phrases dans lesquelles le chef du mouvement Ennahdha utilise le «nous» (en évoquant sans doute Ennahdha, dont il est le chef) et dit ce qui va être sans doute entrepris. Comme celle-ci: «Nous devons (en parlant des salafistes) leur donner leurs droits». Le droit de parler, mais aussi, si l’on comprend bien l’interview donnée à l’hebdomadaire marocain, d’être autorisés.
Tout porte à croire en effet qu’il s’agit là du fond de la pensée de Ghannouchi. Voici les propos du chef du mouvement Ennahdha sur cette question: «J’aimerais les (les salafistes) ramener dans le cadre de la loi en les faisant rejeter les violence. Ce sont des Tunisiens à part entière». Avant d’ajouter plus loin: «Il faut intégrer le courant salafiste dans le cadre de la loi. Dans les années 70 et 80, la bande à Baader en Allemagne et les Brigades Rouges en Italie étaient des mouvements d’extrême gauche hors la loi. Aujourd’hui, leurs héritiers siègent au Parlement européen».
La journaliste qui a recueilli les propos de Rached Ghannouchi ne semble pas être convaincue de l’absence de rôle du chef historique d’Ennahdha dans la conduite de la politique du pays. Elle n’a pas manqué, à ce titre, de lui demander s’il n’était pas un «Guide suprême». Comme elle n’a pas hésité à dire que «De son bureau au 5ème étage de l’immeuble d’Ennahdha, meublé de cuir noir et de plantes vertes où le drapeau tunisien côtoie le fanion du parti, il dirige de fait la Tunisie».
Elle souligne dans un encadré, au titre combien révélateur, «L’homme fort de Tunis», que le Premier ministre, Hamadi Jebali, qu’elle qualifie de «son numéro 2», « consulte (Ghannouchi) sur toutes les décisions importantes, notamment la plus récente, l’expulsion de l’ambassadeur de Syrie en Tunisie».
A méditer!