«Nous voudrions rassurer tous nos concitoyens, il n’y aura pas de bouleversements brutaux dans les administrations, nous travaillerons avec les cadres compétents et qualifiés de nos institutions». C’est ce que ne cessaient de dire et de répéter à longueur des journées, de discours et de déplacements à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les nouveaux détenteurs d’un pouvoir légitime quoique provisoire qui va de plus en plus vers l’absolutisme.
Les déclarations rassurantes à l’adresse du peuple, des opérateurs économiques et des observateurs internationaux, n’y changeront rien. Car ce ne sont que des paroles et les promesses, n’engagent que ceux qui les donnent.
Rapidement et sûrement, les nouveaux maîtres du pays ont commencé à s’accorder toutes les prérogatives. De celle du chef du gouvernement qui détient tous les pouvoirs, y compris le contrôle de l’administration, de la force publique et des collectivités locales, à celle des nominations des nouveaux directeurs au sein des administrations. Les critères de choix, d’après de nombreux témoins, ne seront pas ceux de la compétence et de l’expertise mais plutôt l’appartenance partisane… L’histoire de la Tunisie serait-elle un éternel recommencement?
Il y a déjà deux mois, sur le journal *Middle East online, on publiait un article dans lequel ont parlait du projet d’Ennahdha d’injecter 2.000 cadres dans l’Administration pour pouvoir en maîtriser les rouages et avoir à sa solde des «soldats» disciplinés et obéissants. Dans ce même article, on affirmait que c’est Rached Ghannouchi lui-même qui décide de qui fait quoi. L’information nous fut confirmée par des acteurs politiques sur la place de Tunis.
La question posée à Samir Dilou lors d’une conférence de presse fut évacuée d’un revers de la main: «Nous n’en savons rien, posez donc la question au parti Ennahdha». Réponse peu convaincante alors que dans presque tous les ministères, nous assistons à des mouvements des cadres administratifs. Certains parmi eux se plaindraient même de voir des rapports ou des communiqués qu’ils présentent à leurs supérieurs repris ensuite par le parti.
Au ministère de la Justice, rien qu’au cabinet du ministre, 4 attachés de cabinets ont été appelés à “dégager”. Dans celui de l’Agriculture, 5 hauts cadres ont été disséminés dans les délégations régionales de développement, dont H.M parachuté à la délégation de l’Ariana, A.E.K, ancien PDG des terres domaniales envoyé à La Manouba, Y.F, qui a occupé pendant 24 ans le bureau des relations avec les citoyens (poste clé pour ceux qui veulent mobiliser), a été renvoyé à Ben Arous, et cela a été le cas également pour d’autres directeurs généraux.
Au Premier ministère, le conseiller chargé du dossier social était en poste à la Société Valeo de Jedaida. A-t-il un background administratif ou social correspondant au poste? On parle de politique restrictive des dépenses et de profiter des compétences sur place mais comme le chante si bien Dalida, “Paroles, paroles… «Nous avons remarqué qu’il y a de nombreuses personnes qui arrivent dans les services administratifs pour soi-disant apprendre les rouages du travail. Le plus inquiétant est que les nouveaux venus nous tombent dessus avec des préjugés négatifs. En tant que cadres administratifs, nous serions des corrompus, comploteurs et des fidèles à l’ancien régime comme si nous n’étions pas en train de servir notre propre pays et nos institutions. Nos nouveaux dirigeants discutent entre eux et parfois avec nous en tant que familiers de la maison mais ils n’en font qu’à leur tête car la paranoïa bat le plein chez eux, et sortant de leur bouche, la théorie du complot n’est pas un vain mot. Qu’attendez-vous dans ce cas de nous? Faire comme si de rien n’était ou nous engager dans la résistance passive?», s’interroge un cadre administratif.
Au ministère du Transport, aucune décision n’a été prise pour améliorer la situation à tel point que les employés, qui ont réfréné leur rancœur depuis la nomination du ministre, ont commencé à montrer des signes d’impatience. Résultat, le ministre qui n’a pas été bien briefé par les conseillers qu’il avait amenés avec lui, s’est décidé à reprendre à son service un retraité, ancien PDG de la SNCFT sous Ben Ali, un agent de voyage et nommer un enfant de la maison en tant que secrétaire général.
Dans l’attente, les questions capitales restent en plan comme celle se rapportant au transport portuaire devenu la plaie pour les exportateurs importateurs du pays.
Presque tous les ministères ont été touchés par les nominations, mutations, remplacements comme si dans la situation actuelle du pays, c’était la première des urgences. Rassurer et impliquer les cadres administratifs et les fonctionnaires qui sont la pierre angulaire du pays, cela paraît presque dérisoire alors que c’est grâce à eux que nos institutions ont pu tenir et notre quotidien a été géré. «Dans notre ministère (celui de la Justice) chacun se tient à carreau et se fait petit, car il ne sait pas s’il sera concerné ou non par “la campagne d’assainissement de l’Administration’’. J’ai bien peur que ce que nous vivons aujourd’hui ressemble au coup d’Etat institutionnel, réalisé en douce, justifié par l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante mais visant à neutraliser les compétences administratives qui ont assez souffert auparavant de ne pouvoir exercer pleinement leurs talents et les remplacer par les fidèles de la Troïka. J’ai peur pour mon pays», s’inquiète un haut cadre au ministère de la Justice.
Pendant ce temps, on ne parle pas encore clairement du programme de réforme administrative… «La Tunisie est notre pays et nous la servirons comme nous l’avons fait indépendamment des personnes. Nous servons des institutions et notre peuple et non les ministres même s’ils y restent des décennies. D’ailleurs l’histoire nous apprend que rien n’est éternel, et celle plus récente dans notre pays nous conforte encore plus dans cette idée. Je suis choqué lorsque j’entends les nouveaux arrivés nous dénigrer et nous traiter comme des moins que rien. Nous avons toutes les compétences et les qualifications pour assurer. Nous aurions pu travailler dans le privé et gagner beaucoup plus d’argent, nous avons choisi d’être ici, ce n’est pas pour être maltraités ou sous-estimés», déplore un directeur général au ministère de l’Enseignement supérieur.
Loin des couloirs des ministères, l’image la plus frappante, ou la plus dangereuse peut-être, c’est celle de ces milices d’Ennahdha qui se trouvent dans l’esplanade face au Premier ministère, bien gardé, en principe par notre police nationale. C’est ce que faisaient les milices du Hamas en Palestine avant de regagner le corps réglementaire des forces de l’ordre. Des informations non confirmées disent que le parti majoritaire et légitime serait en train de se préparer à injecter entre 10.000 et 16.000 miliciens dans le corps de la police nationale. Espérons que ce ne sont que des rumeurs malveillantes.