La mise en valeur des terres domaniales agricoles, depuis leur nationalisation en 1964, était exclusivement réalisée par l’Office des Terres Domaniales «OTD» et les Unités Coopératives de Production Agricole «UCPA» souvent sous forme d’une simple exploitation archaïque et marginale.
Toutefois, depuis le début des années 1980, l’Etat a décidé de mieux rentabiliser ces terres en les louant à des Sociétés de mise en valeur et de développement agricole «SMVDA» qui ont été créées par les banques de développement, à l’instar de la BNDA (actuellement BNA), la BTKD (actuellement BTK), la BTEI (actuellement BTE), la BTQI, la BDET, la STUSID, l’Instance Arabe d’Investissement et de Développement Agricole, etc.
Cette initiative a permis la création de plusieurs sociétés de développement agricole dont on cite notamment la SODAL à Siliana, la SMADEA et ZAMA-BOUZID à Boussalem, la Société d’Elevage Mateur-Jalta, à Mateur, la SFL à Medjez El Bab, la SODEAT à Testour, la société EL AMRA à Borj El Amri, la SODASS et le SODASMA à Kairouan et la SODABEG à Jelma. Ces sociétés ont été créées sur des noyaux d’UCPA souvent groupés sous forme de «mégaprojets» avec des investissements généralement lourds pour promouvoir surtout les secteurs de l’élevage bovin laitier, l’élevage ovin à viande, la céréaliculture et l’arboriculture fruitière.
La création de ces sociétés a engendré l’intégration de la main-d’œuvre existante sur les fermes concernées et la création de nouveaux postes d’emploi surtout pour les cadres techniques et administratifs. Après des années d’exploitation, certaines sociétés ont pu trouver un certain équilibre financier pour continuer leurs activités et répondre aux objectifs de leur création, alors que d’autres se sont trouvées avec des endettements lourds et des pertes cumulées au fur des années et ont fait l’objet d’assainissements financiers et de restructurations, souvent par la réduction du capital et la reconversion des dettes en actions.
Cette situation a continué jusqu’à la fin des années 1990. En effet, dès le début des années 2000, l’Etat a pris la décision de privatiser ces sociétés après leur restructuration. Cette privatisation a concerné aussi bien les sociétés ayant des difficultés financières que celles équilibrées, surtout en faveur d’investisseurs proches du pouvoir.
Cette démarche de privatisation n’a pu apporter ses fruits qu’au niveau d’un nombre limité de sociétés, notamment les SMVDA, l’EPI et IO installées sur deux noyaux de la Société EL AMRA, la SMVDA Chargui installée sur un noyau de la Société d’Elevage Mateur-Jalta, la SMVDA Raoudha installée sur un noyau de la SODEAT.
Quant aux autres sociétés privatisées, elles n’ont pas réalisé d’investissements remarquables et ont continué à exploiter les fermes de façon traditionnelle sans respecter leurs engagements en matière de développement et de création d’emploi.
Les deux seules sociétés qui n’ont pas été privatisées sont:
(i) la SMADEA, du fait que son capital est détenu majoritairement par l’Instance Arabe d’Investissement et de Développement Agricole et la STUSID qui ne sont pas publiques et dont la situation est relativement aisée en relation avec son management,
(ii) la SODAL dont le capital est détenu majoritairement par la BNA. Celle-ci n’a pas été privatisée, bien qu’elle fasse partie du programme national de privatisation depuis 2003, essentiellement à cause des problèmes fonciers qui n’ont été régularisés qu’en 2008 et à cause des protestations des employés et des ouvriers qui se sont fortement opposés au projet de privatisation (il est à mentionner que cette société emploie près de 20 cadres administratifs et techniques et 100 ouvriers agricoles permanents outre l’emploi de plus de 150 ouvriers agricoles occasionnels, constituant ainsi le pôle d’emploi le plus important dans le gouvernorat de Siliana).
D’un autre côté, les palmeraies du domaine de l’Etat des gouvernorats de Tozeur et de Kébili, qui étaient exploitées par la SODAD (Société de Développement Agricole et des Dattes), filiale de la STIL, ont été privatisées durant les années 2000 au profit de sociétés de mise en valeur et de développement agricole et sous forme de lots techniciens et pour jeunes agriculteurs.
Quant aux jeunes agriculteurs et les techniciens, la démarche était réussie et on a pu savoir qu’ils ont bien développé leurs lots et ont amélioré leur productivité avec leurs propres moyens modestes.
Toutefois, les SMVDA n’ont pratiquement pas fait d’investissements remarquables à part quelques réfections des réseaux d’irrigation et n’ont pas tenu leurs promesses en matière d’emploi de la main-d’œuvre et surtout les cadres techniques et administratifs. Ce même scénario s’est pratiquement reproduit pour la mise en valeur des terres domaniales plantées exclusivement en oliviers dans les gouvernorats de Sfax et de Kasserine et les terres domaniales plantées en agrumes au Cap-Bon.
Les autres terres domaniales à vocation céréalières, elles ont été louées à des sociétés de mise en valeur qui, en majorité, n’ont pas respecté leurs programmes de mise en valeur et n’ont pas tenu leurs promesses en matière d’emploi de la main-d’œuvre et surtout les cadres techniques et administratifs.
Propositions pour le futur…
Tout bilan fait, les enseignements à tirer de ces faits se résument en deux constatations: (i) les sociétés promues par les banques et les grands groupes investisseurs bien structurés ont réalisé des investissements respectables et ont, plus ou moins, joué un rôle important en matière d’emploi alors que (ii) les société promues par de simples personnes physiques voulant tirer le maximum de profit avec moins de dépenses et en peu de temps, n’ont généralement pas fait d’investissements remarquables et n’ont joué aucun rôle en matière d’emploi. Ces derniers se sont comportés comme de simples agriculteurs traditionnels sans aucune ambition et sans aucune organisation.
Par ailleurs, pour la planification future en matière de mise en valeur et de développement des terres domaniales agricoles, le meilleur modèle à retenir serait celui qui repose sur la création de grands projets promus par des investisseurs de taille et bien structurés avec des participations bancaires et la participation de sociétés d’investissement à capital-risque (SICAR) pour mieux contrôler leur gestion. Ces grands projets doivent êtres créés sur les grandes exploitations dont les potentialités de développement sont importantes afin de générer de l’emploi. Les autres fermes, de moindre importance, peuvent être louées à des investisseurs de moindre envergure mais avec l’exigence d’une participation SICAR pour mieux contrôler leur management. Quant aux terres de faible superficie, elles peuvent êtres louées sous forme de lots pour techniciens et pour jeunes agriculteurs tout en leur assurant un suivi régulier.
Concernant la méthode d’affectation de ces terres, elle ne doit plus faire l’objet du favoritisme de l’ancien régime où la présidence de la République contrôlait tout. A cet effet, il est préconisé la création d’une institution indépendante représentant les ministères concernés (Agriculture, Domaine de l’Etat et des Affaires foncières, Finances, Développement Régional) et les composantes de la société civile (UTAP, UGTT, etc.). Cette institution, une fois créée, s’occupera de répertorier les terres, leur classement en différentes catégories selon leurs vocations et les modes de faire valoir préconisés, ainsi que l’élaboration des procédures d’affectation transparente de ces terres et leur affectation effective aux différents promoteurs. Les montants du loyer et la durée de location de ces terres doivent être déterminés en fonction de l’importance des projets et leur contribution à la création de l’emploi, surtout des cadres.
Concernant les agro-combinats de l’OTD et les fermes du GOVPF (Groupement Obligatoire des Viticulteurs et des Producteurs de Fruits), il convient de leur trouver un mode de gestion plus approprié et plus efficace en les transformant en sociétés anonymes à participation publique sous la supervision de l’administration centrale de l’OTD. Ces sociétés, une fois créées, doivent, elles aussi, établir des contrats de location avec l’Etat et payer un loyer à l’instar des autres sociétés de mise en valeur. Elles pourront, dans une étape ultérieure, être privatisées.
* Expert agricole, Directeur Général de la SODAL
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