«Je ne reconnais pas le révolutionnaire en vous», a invectivé un jeune dirigeant s’adressant à Mohamed Abbou, ministre chargé de la Réforme administrative lors d’un déjeuner débat organisé par le Centre des Jeunes dirigeants (CJD) mercredi 15 février à propos de la neutralité de l’Administration face à la pluralité des partis.
Une neutralité aujourd’hui remise en cause devant nombre de tentatives de faire main basse sur l’Administration dans une conjoncture délicate de préparation d’une nouvelle Constitution pour une deuxième République.
Plusieurs rendez-vous électoraux suivront la rédaction de la Constitution et de la nouvelle loi électorale; ces rendez-vous pourraient entraîner des changements de gouvernement et des partis au pouvoir. Face à cette situation, le défi principal devrait être d’assurer la neutralité de l’Administration. Pour cela, il va falloir mettre sur les rails et au plus vite des réformes administratives adéquates.
Selon les Jeunes dirigeants, la neutralité de l’Administration dépend de l’égalité de tous dans l’accès à ses services, dans son fonctionnement indépendamment du pouvoir en place ou de l’appartenance idéologique ou religieuse.
Pour ce, il faut que les lois, les réglementations et les procédures soient simples et légères. Une veille permanente de la part de la société civile et de médias libres et indépendants œuvrerait pour un meilleur fonctionnement de l’Administration mais pas seulement. D’après les jeunes dirigeants, une charte et un code de bonne conduite devraient être élaborés à l’intention de tous les fonctionnaires afin d’assurer un service de qualité à tous les citoyens ainsi qu’une gestion efficace des ressources humaines dans le secteur public, que ce soit au niveau du recrutement, de la rémunération, des plans de carrière, du coaching ou de la formation.
«C’est ce que nous nous efforcerons de faire», a répondu Mohamed Abbou, en lançant dans un premier temps «un appel aux administratifs dont les profils ne correspondent pas aux postes qu’ils occupent pour qu’ils prennent l’initiative de changer de poste de manière volontaire. Dans le cas contraire, c’est nous qui interviendrons pour placer le profil qu’il faut à la place qu’il faut, selon ses compétences et ses qualifications».
L’Administration doit non seulement être décentralisée, car il n’est pas normal qu’à l’ère des hautes technologies, l’on soit obligé de se déplacer à la capitale pour signer un papier, mais il faut qu’il y ait une délégation des pouvoirs au niveau des grandes régions de la Tunisie. Le but est d’encourager la réactivité des services administratifs, des institutions bancaires et autres pour ce qui est des prestations rendues aux citoyens. Mais pas seulement, estiment les jeunes dirigeants, il faudrait former les administratifs à assurer le suivi des projets lancés par les promoteurs, revoir le Code d’incitations aux investissements et la gestion des appels d’offres publics.
Ce qui fut approuvé par le ministre délégué auprès du chef du gouvernement provisoire chargé de la Réforme administrative, qui estime que l’efficience de l’Administration dépend de la qualité de la formation dispensée aux cadres et aux fonctionnaires. L’Ecole nationale d’administration (ENA) aurait un grand rôle à jouer dans ce sens car elle doit répondre aux nouvelles exigences du contexte socioéconomique.
Reste que les compétences administratives tunisiennes écartées pendant des décennies, souffriraient toujours de cette marginalisation, chaque haut responsable s’amenant avec son équipe et ignorant ceux maîtrisant les dossiers et les problématiques. «Cela n’a pas été le cas en ce qui me concerne, j’ai gardé tous les cadres et j’essaye de travailler avec eux. D’autres ont adopté la méthode américaine qui implique que chaque nouveau responsable amène sa propre équipe», explique M. Abbou.
Sauf qu’aux USA, ce ne sont pas des gouvernements provisoires qui bouleversent l’ordre établi, et ce ne sont que les équipes rapprochées du nouveau président élu qui changent. Les cadres administratifs sont préservés car ce sont eux qui assurent la continuité de l’Etat et des services publics. Aux Etats-Unis, on ne bouleverse pas l’ordre établi par ce qu’il y a un changement de la présidence.
Quant à Mohamed Abbou, eh bien, nous ne pouvons pas dire que nous retrouvons en ce ministre délégué chargé de la réforme administrative l’esprit révolutionnaire dont il se prévalait auparavant. Ses propos sont plus tempérés, il est devenu tout d’un coup plus compréhensif quand aux lenteurs des décisions gouvernementales et a même reconnu que le taux de la corruption a augmenté depuis le 14 janvier. «De nombreuses plaintes nous sont parvenues concernant la corruption dans le milieu douanier».
Etre dans l’opposition n’est pas être dans le pouvoir. Etre dans le pouvoir, c’est apporter des solutions et avancer des projets. Alors M. Abbou, la révolution administrative, c’est pour quand?