Urgence, vous avez dit urgence? Une urgence à décapiter la Tunisie et les Tunisiens oui. Un président provisoire qui s’excuse après avoir osé comparer des salafistes à des microbes et déclare avoir vendu un avion alors qu’il n’en est rien. Un président de la Constituante qui n’arrive pas à en écrire une lettre, qui cache qu’on y parle de polygamie, qui assiste indifférent à la déconfiture de son parti et dit merci quand on lui parle de couper des pieds et des mains. Il menace de démissionner si la «chariaâ» est inscrite dans la Constitution. La belle jambe! Il fallait y penser avant M. Ben Jaafar!
Ennahdha au pouvoir se joue des règles et passe entre les mailles du filet que l’opposition ni la société civile n’arrivent encore à serrer suffisamment fort. Dans cette course contre la montre, c’est la Tunisie qui perd autant qu’elle s’y perd.
Ne pas vampiriser les islamistes? Mais qui s’évertue à le faire si ce ne sont eux-mêmes qui s’y égarent et y hypothèquent leur nation dans un jeu de nuances autour de leur islam politique?
Qui bloque les facultés si ce ne sont les salafistes et leur «mounaquabette»? Qui prend en otage les médecins au point de risquer de faire tuer des bébés à naître à cause d’un gynécologue homme? Qui parle de couper des clitoris alors que des tunisiens crèvent de faim et de soif? Qui jette les journalistes en prison? Qui tente d’enraciner une doctrine dans l’administration et les institutions et prétend à réduire la Tunisie à une «Khalifa»? Qui évite de donner une date pour les prochaines élections? Qui s’évertue à museler les médias en plein apprentissage?
Dans cette course aux pouvoirs et aux privilèges, nos gouvernants passent le plus clair de leur temps à sauver la Syrie, à faire du charme aux Saoudiens et à sourire au Qatar. Ils divisent les Tunisiens et sèment la hargne, la colère et le ressentiment. Un gouvernement révolutionnaire qui s’était engagé à «nettoyer» un système mais qui ne parvient pas à le faire bouger d’un iota. Au terme de quelques semaines d’amateurisme, il s’en retrouve aliéné et complice.
Hamadi Jebali en Arabie saoudite n’a pas osé demander l’extradition de Ben Ali. Il promet monts, merveilles et des millions d’investissements certainement très spéculatifs. En contrepartie de quoi? Les Tunisiens ont-ils fait une révolution pour se retrouver humiliés par l’allégeance faite aux Saoud, hauts protecteurs de Ben Ali?
Comme Moncef Marzouki, Hamadi Jebali refait le même impair, celui d’insulter ses compatriotes dans un pays étranger. Ne dit-on pas «qui se ressemble s’assemble», et Djeddah est loin d’être l’endroit idéal pour faire porter «à certaines parties politiques et sociales», sans les nommer, la responsabilité d’entraver l’action du gouvernement en semant le trouble et en encourageant les revendications sociales. La gouvernance à trois têtes qui essaie de diriger le pays n’a toujours pas compris que, dans pareille période de transition, rassembler les compétences et toutes les énergies n’est pas un luxe mais une question de survie.
Surtout que le gouvernement actuel souffre d’absence d’un programme concret et clair et manque visiblement du soutien du corps administratif et d’une grande partie des forces vives du pays. Avant de s’en prendre aux autres, Hamadi Jebali s’est-il interrogé sur les moyens permettant de résoudre les problèmes économiques et sociaux de cette Tunisie qui saigne.
Concrètement, quelles actions sont en cours? Où en est ce gouvernement d’union nationale? Elle est où l’union? Où va la Tunisie?
Le pays est dans le flou, effraye et fait peur. Belliqueux et instable, les observateurs avertis sont surpris par le flottement dans lequel on le met. Le gouvernement actuel n’est que l’ombre de lui-même. L’opposition, elle, se débat dans ses contradictions et petits calculs politiciens, ne parvenant à être ni crédible ni audible.
La Tunisie se fracasse à forces des distensions qu’il y a au sein même du parti Ennahdha. Les autres partis au pouvoir ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Le CPR et Ettakatol, en agonie, n’écoutent pas leurs militants qui leur demandent de rejoindre le camp naturel qui est le leur. Celui qui, un certain 14 janvier, s’est levé en un seul homme avec un seul maître mot chasser la dictature. Celui qui saura ne pas laisser s’en installer une autre, trouvera sa voie. Mais à quel prix?