Une récente rencontre, organisée à Gafsa, sur «Le rôle de la lecture dans l’affermissement des valeurs du vivre ensemble», a permis de mettre en exergue le rôle que peut jouer le livre dans la lutte contre le sectarisme. Elle a également souligné que la vente du livre n’est pas facilitée en Tunisie du fait que ceux qui sont chargés de l’écouler manquent d’un réel professionnalisme. Récit.
«Faire du livre, une véritable affaire d’opinion publique». Taille moyenne, manteau et cache-col en laine, la cinquantaine, professeur d’enseignement secondaire spécialisé en langue et littérature arabes à Gafsa, Amor Hafaïedh est venu lancer un véritable appel en vue d’une réelle prise en charge par toutes les composantes de la société de la promotion de la lecture dans le pays.
Et pour cause, la lecture est un outil essentiel pour affermir le pluralisme des idées et des opinions. Cette ambition est du reste inscrite dans le droit fil du séminaire organisé, les 17, 18 et 19 février 2012, à Gafsa, par l’Association des amis des bibliothèques et du livre de Gafsa, sur précisément «Le rôle de la lecture dans l’affermissement des valeurs du vivre ensemble» avec l’appui la Direction de la lecture publique du ministère de la Culture et la Fédération nationale des Associations des amis des bibliothèques et du livre.
De nombreux intervenants qui se sont succédé à la tribune de cette rencontre, qui a été suivie en permanence par quelque deux cents personnes, pour l’essentiel des bibliothécaires, des enseignants et des hommes de culture, n’ont pas manqué de préciser l’importance de la lecture, notamment à l’heure des périls du sectarisme aussi bien en Tunisie que dans le monde.
«S’emprisonner dans certaines cultures»
Abderahmane Touati, également professeur de langue et de littérature arabes de la ville, a insisté ainsi sur le fait que nombreux lecteurs «s’emprisonnent dans certaines cultures et se choisissent d’être enchaînés dans des voies intellectuelles». Et de poursuivre: «Ainsi un communiste choisit de ne lire que Karl Marx; un nationaliste arabe va décider de dévorer les seuls écrits de Jamel Abdel Nasser; un islamiste n’accepte d’aller qu’à la rencontre des ouvrages d’Ibnou Taymyya».
Les promoteurs du livre, les «autorités» culturelles, à commencer par le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement, les bibliothécaires, les libraires, les enseignants et les parents n’assument-ils pas une responsabilité dans cette situation? N’assument-ils pas une responsabilité concernant notamment la faiblesse, combien de fois constatée, du faible taux de lecture dans le pays?
Tous les participants sont allés en la matière de leur constat. Et de leurs reproches. «La lecture n’occupe plus la place qu’elle mérite et qui était la sienne autrefois dans les programmes scolaires», «Les enseignants ne poussent plus les élèves à lire», «Les parents acceptent d’acheter un téléphone portable pour 400 dinars à leur enfant et refusent de lui acheter un livre pour 10 dinars», a-t-on notamment entendu de la bouche de quelques participants.
Les éditeurs ont adopté l’électronique
Pour Nourreddine Haj Mahmoud, universitaire en Sciences de l’information et de la communication (il enseigne à l’Institut de presse de Tunis), le livre a aujourd’hui toute la latitude pour emprunter la voie que lui offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui sont devenues un espace à conquérir en matière de diffusion du savoir.
L’orateur ne manquera pas de mettre en exergue le fait que de nombreux éditeurs ont adopté aujourd’hui l’électronique en mettant en ligne des versions digitales des contenus papier. Soulignant que la culture digitale a aboli les frontières et le discours unique annonçant une ère nouvelle qui donne toute sa valeur au pluralisme des idées.
Inutile de préciser qu’une partie des débats a porté sur les réseaux sociaux et leur rôle dans l’affermissement de ce pluralisme. Facebook, Twitter et bien d’autres réseaux ont créé un nouvel environnement pour la diffusion du savoir. Mais nos éditeurs ont-ils investi cet espace? La question mérité d’être posée, aux dires d’un intervenant, qui a souligné que rares sont les éditeurs tunisiens qui ont une page Facebook, par exemple.
Le livre n’est-il pas par ailleurs encore cher et loin de la portée de la plupart des ménages tunisiens? Savons-nous, par ailleurs, en Tunisie, faire aimer le livre et faciliter sa vente? Combien de fois, dira ce dernier, nous remarquons que ceux qui sont chargés de l’écouler ne connaissant strictement rien aux ouvrages qu’ils vendent: ils n’en connaissent ni les auteurs ni l’éditeur, encore moins les thèmes abordés. La situation dans les bibliothèques n’est pas meilleure. «Quelquefois, ceux qui sont placés dans les bibliothèques sont déplacés d’autres services administratifs pour assurer le prêt alors qu’ils ne connaissant rien aux livres et à la culture», nous dira un jeune bibliothécaire, entre la poire et le fromage, dans l’un des déjeuners organisés en marge du séminaire de l’Association des amis des bibliothèques et du livre de Gafsa.