On aurait tant souhaité que de tels face-à-face aient lieu autour d’une table de dialogue et de concertation pour sortir le pays de ses crises politique, sociale et économique qui le malmènent. A la place, chaque partie a campé sur ses positions pour se retourner contre l’autre. Et jusqu’à quand ce bras de fer?
Tout a commencé aux environs de midi, samedi 25 février, devant le siège de l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens), à la Place Mohamed Ali. Une marche pacifique, devant aboutir devant le ministère de l’Intérieur, sur l’Avenue Bourguiba, était organisée en vue de protester contre les agressions dont ont fait l’objet dernièrement le siège de l’UGTT et quelques unes de ses filières, notamment celle de Thala (incendie, jet de pierres, démolition des devantures en verre, etc.). Massive, la marche alignait syndicalistes, fonctionnaires, hommes politiques, communicateurs, ainsi qu’un grand nombre d’organisations, d’associations et des composantes de la société civile qui, tous, dirigent un doigt accusateur contre les Nahdhaouis qu’ils tiennent pour responsables desdites agressions (en réaction face à la grève observée par les agents municipaux), et particulièrement, point culminant, la profanation de la sépulture du leader Farhat Hached dont le portrait était brandi tout le temps qu’a duré la manifestation.
Parmi les slogans (rendus souvent indéchiffrables par la confusion générale) scandés en permanence, on cite «Le peuple veut le limogeage du gouvernement» et le fameux «Dégage» adressé à l’encontre du ministre de l’Intérieur dont le département est qualifié d’«un bien appartenant au parti Ennahdha». Au gouvernement, il est surtout reproché sa «tentative d’avoir une mainmise sur l’UGTT» mais aussi son «incapacité de résoudre les problèmes économiques» en se contentant d’«exécuter les ordres qataris et américains». Ils criaient tout fort: «Vous avez vendu le peuple pour une poignée de dollars!», allusion au Congrès des amis de la Syrie tenu récemment à Tunis et dont beaucoup pensent qu’il était un échec total.
Haranguant au micro ses foules, Houcine Abassi, SG de l’UGTT, a, entre autres, reproché au gouvernement de «tenter de mettre à genoux le secteur de l’Information pour son ralliement définitif», ce qui, en gros, l’a amené à proposer le dialogue et la concertation sans le recours à des méthodes rétrogrades. Pour sa part, Mme Emna Mnif, présidente de l’Association Tous des Tunisiens, a déclaré être écœurée par toute cette vague d’acharnement menée contre les journalistes, et a fermement condamné la profanation de la sépulture du leader F. Hached, précisant que c’est là une «manière tendant à flétrir l’image et l’Histoire de la plus ancienne organisation nationale» (1946).
Il est environ 14 heures lorsque, surgie d’on ne savait où, une autre manifestation a investi à son tour l’Avenue. Les Nahdhaoui ont tenu à être présents. Tout en criant leur soutien inconditionnel pour le gouvernement en place, ils disent leur hargne nourrie contre l’UGTT, coupable à leurs yeux d’avoir, du temps de Abdessalem Jrad, spolié l’argent du peuple pour le dilapider dans des vétilles. Ainsi alignés dans un face-à-face houleux, les manifestants des deux côtés étaient à un moment à la merci d’une étincelle pour que la situation dégénère. Les agents de l’ordre ont eu, à temps, le réflexe de constituer un mur entre les deux ‘‘fronts’’. Sauf que, vers 15 heures passées, la tension est montée d’un cran si sérieux que le recours aux bombes lacrymogènes était quasiment inévitable.
Au final, vers 16 heures, il n’est plus resté sur l’Avenue Bourguiba que l’écho du slogan le plus sensé exprimé par les syndicalistes qui avaient revendiqué l’emploi, le développement régional, la réforme de l’enseignement, et la liberté du secteur de l’Information. Liberté et dignité nationale, comme ils l’ont scandé à cor et à cri.