Réalisée en 2010, l’enquête sur la violence à l’égard des femmes a fait l’objet, mercredi 29 février, d’une rencontre ayant réuni les principaux organismes concernés.
Commençons par les données générales de l’enquête. Celle-ci a été réalisée sur un échantillon de 3.873 femmes âgées de 18 à 64 ans, et issues de: Tunis, Nord-est, Nord-ouest, Centre-est, Centre-ouest, Sud-est et Sud-ouest (qui détient la palme avec 72 %).
Les violences sont classées comme suit:
– physique: 47 %,
– psychologique: 68,5%,
– sexuelle: 78%,
– économique: 78%.
Il est précisé que 42% des femmes ayant subi des violences passent sous silence leurs sévices, contre seulement 18% ayant porté plainte, et sachant que 47,6% ont subi des agressions au moins une fois dans leur vie.
Les agresseurs, selon l’enquête, sont, par ordre d’importance, le mari, le fiancé et l’ami. L’homme, donc; c’est clair. Les principales, voire les seules, raisons de la violence contre les femmes sont: les difficultés économiques (mari en chômage), le faible niveau d’instruction, la jalousie pour les hommes célibataires, et –grande surprise!-… l’absence totale de raisons.
Quant aux raisons du silence de la femme battue, on en cite deux: la peur de se voir aggraver la situation, et la honte d’en parler. De sorte que seulement 5,4% des victimes ont eu à s’adresser aux ONG.
Précisons que l’enquête en question a été réalisée par l’Office national de la famille et de la population avec le concours de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement, et Cawtar. Par conséquent, la rencontre du mercredi 29 février a réuni, autour du ministre de la Santé publique et de l’ambassadeur du Royaume d’Espagne, la directrice générale de l’Onfp, le directeur général de l’Aecid, des organisations onusiennes, gouvernementales et non gouvernementales, et des représentants de la société civile.
Recommandation officielle de la rencontre: conjuguer les efforts en vue d’élaborer une stratégie efficace pouvant mettre un terme au fléau.
Interrogations sur l’enquête
Nous n’avons pas à émettre le moindre doute sur la compétence des experts ayant mené cette enquête sur la violence infligée aux femmes. Mais tout de même, certaines interrogations et quelques remarques s’imposent à l’esprit, et il n’est pas inutile de les soulever ici.
Il est tout à fait légitime, pensons-nous, de se poser des questions sur la crédibilité des témoignages fournis par les femmes interviewées. Comment prouver que leurs témoignages traduisent la pure réalité? Ou qu’il n’y ait pas amplification du phénomène? Comment le savoir? Et donc, comment en prendre acte aveuglément? Déjà que certaines sciences (les vraies) sont dites «inexactes», comment croire qu’un sondage de ce genre reflète la vérité et rien que la vérité?
Par ailleurs –et sans être forcément féministe ou machiste–, il y a tout lieu de se rendre à l’évidence qu’il y a aussi, dans notre pays, de la violence physique et psychologique infligée par les…femmes sur leurs maris. Cela peut prêter à rire, mais c’est aussi un phénomène tout aussi répréhensible et regrettable que la violence à l’égard des femmes. On nous rétorquerait probablement que ce phénomène est rare; il n’empêche: bien des hommes (Dieu le sait, et… nous aussi, nous le savons) vivent un calvaire au quotidien et, eux aussi, n’en parlent pas de peur d’être ridiculisés. Passons.
Le vrai agresseur!
Chaque fois qu’on parle de femmes battues, l’homme –l’agresseur– est tout de suite mis dans le collimateur sans autre forme de procès. Toutes les enquêtes du genre ont beau expliquer que les difficultés économiques et l’absence du niveau d’instruction y sont pour beaucoup, rien n’y fait, on s’arrête au stade du constat de la violence et de la réflexion sur la manière d’amener les hommes brutaux à changer d’attitude. C’est une approche fausse et stérile. Prenons un exemple criard.
A Sidi Bouzid, selon une enquête menée sur le terrain en août 2010 pour le compte de l’UGTT, le taux d’analphabétisme est de l’ordre de… 67,9%, cependant que le nombre d’habitants pauvres (2010) était de 174 911 (12,8% contre 1,4% à Tunis). Et maintenant, cette petite histoire, réelle. Durant notre enquête à Sidi Bouzid (février 2011), un jeune de 24 ans nous avait servi (en quelque sorte) de guide. Une après-midi, en plein public, il nous a abandonnés une petite minute pour aller … asséner une gifle à une petite lycéenne. Force pour nous était de poser la question: «Mais pourquoi t’as fait ça?». Sa réponse était: «C’est ma voisine, elle n’a pas le droit d’être en compagnie de ses camarades de classe dans la rue». Notre réaction: «Mais quel mal y a-t-il?».
Réponse: «C’est une question de dignité…». Car! … Car lorsque le minimum de confort économique et l’instruction font défaut, il ne reste plus à l’homme, pour s’en prévaloir, qu’une raison stupide pouvant justifier son agressivité: la dignité. Mais qui est donc le vrai agresseur dans tout cela? Pourquoi est-ce que nos frères et concitoyens de Sidi Bouzid n’ont pas droit à l’emploi, le droit de manger à leur faim, le droit d’avoir un enseignement de qualité, le droit de changer de tricot de corps au moins une fois par semaine, bref le droit à une vie digne, justement? Pourquoi? C’est tout simplement parce que l’Etat –même du temps de Bourguiba, en fait– n’a jamais pensé à eux ! On n’arrête pas de nous tamponner les oreilles tout le temps avec cette chimère du «développement régional». Mais où est donc ce développement régional? Nos frères et concitoyens du Centre-ouest et du Nord-ouest, s’ils mangent à midi, ne mangent pas le soir! C’est une vérité, Messieurs, que nous avons constatée de visu! Oui, de visu! Et nous, à Tunis, on s’empiffre de gâteaux, de crêpes, de spaghetti aux fruits de mer et de bières de luxe! Tout homme sur terre a besoin de se sentir homme. Mais quand il n’a rien –rien!– il se rabat, malheureusement, sur la femme. Dans cette enquête sur la violence à l’égard des femmes, le premier à condamner c’est l’Etat tunisien!! De 1957 à aujourd’hui, nous n’avons eu que des hommes politiques insensibles à la pauvreté et à la misère de ces Tunisiens comme nous!! Rien n’a été fait pour ces gens-là. Rien!!
Erreur dans l’enquête
Nous parlions, plus haut, de la crédibilité des témoignages. En effet, quand on lit, parmi les raisons de la violence, … l’absence totale de raison, là, franchement, on ne comprend plus rien. Que faut-il comprendre? Que parfois, sans la moindre raison, l’homme peut en arriver à battre sa femme? C’est ça?… Là, on serait plutôt dans un asile de fous. Passons.
Mais maintenant, on relève une erreur monumentale dans l’enquête. Celle-ci précise, en effet, que les femmes les plus exposées à la violence (des hommes) sont… les femmes divorcées. Si c’est le cas, toutes les données de l’enquête tombent désespérément à l’eau.
Il reste bien entendu, tout de même, que la femme divorcée vit toute seule avec ses enfants (cas rarissimes) ou, et c’est le plus fréquent, chez ses parents. S’il demeure certain que les femmes les plus exposées à la violence des hommes sont les femmes divorcées, c’est que ce n’est ni le mari ni le fiancé ni l’ami qui est l’agresseur, mais plutôt le père ou le frère. On ne peut imaginer tout de même qu’une femme divorcée continue à vivre sous le toit conjugal –qu’est-ce qu’elle y fait encore?
Non, cette enquête de l’Onfp pèche par quelques faiblesses ou, du moins, quelques inexactitudes. Dans tous les cas de figure, elle gagne à être reprise dès le début. Quant à la violence proprement dite, il va falloir édifier les gens, les femmes surtout (via la télévision, par exemple) sur le véritable rôle que peut jouer une ONG face à un tel phénomène. C’est ainsi qu’on pourra briser le silence.