Tunisie : Pour une enquête sur les injustices dans le développement des régions

Reconnaître les injustices, les réparer et demander des comptes aux coupables, c’est ce que vise Salhi Sghair, ingénieur en génie électrique et entrepreneur à travers le projet de création d’une commission d’investigation sur les injustices commises dans le développement des régions.

salhi-sghaier-030312.jpgPourquoi une telle requête? Pour S. Sghair, «la prise en charge de la classe politique des causes directes de déclenchement de la révolution, de la réparation des injustices commises en termes de déséquilibre dans le développement et la sincérité de la volonté de poursuite des responsables, est inquiétante à plus d’un titre». Et c’est ce qui explique, selon lui, cette initiative qui consiste à confier le dossier «Injustices commises dans les régions» à une commission spéciale de l’Assemblée nationale constituante (ANC) pour enquêter, déterminer les responsabilités et exiger des comptes.

Mustapha Ben Jaafar, président de l’ANC, et ses deux adjoints ont d’ores et déjà été saisis par l’initiateur de cette enquête tout comme les présidents de groupes, les secrétaires généraux et présidents de la plupart des partis, et nombre d’élus, représentant toutes les régions, soit une quarantaine de personnalités.

Salhi Sghair déplore que dans le préambule de la Loi d’organisation provisoire des pouvoirs, l’Assemblé ait omis la cause directe du déclenchement de la révolution qui est l’équité dans le développement des régions. «Un acte d’ingratitude ressenti comme une insulte à ces régions».

«La réforme de la justice, des forces de l’ordre et des médias est en cours ou en discussions, par contre, la classe politico-médiatique reste muette quand il s’agit de reformer le mode développement ou même de reformer le ministère du Développement lui-même. Le sujet n’est même pas évoqué par le ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle. Le droit des victimes du développement discriminatoire ne semble pas trop compter», s’étonne Salhi Sghair. Pour lui, il s’agit là d’une volonté manifeste de passer sous silence les injustices commises, de protéger les responsables et de ne pas s’attaquer au modèle de développement en place, soit «une forme de complicité a posteriori».

Pour développer les régions, il faut de nouveaux mécanismes

Le développement des régions continue à être traité avec les mêmes outils et les mêmes concepts, de manière discriminatoire, estime M. Sghair. En fait, les régions favorisées par les ères Bourguiba et Ben Ali sont aujourd’hui encore prises en charge par le CGDR, et les autres régions par les offices dits «de développement». Les lois N° 82 et 83 de 1994 portant respectivement sur les statuts de le CGDR et des offices permettent de mesurer le caractère discriminatoire de la prise en charge du développement en fonction des régions.

Sur un tout autre volet, le 12ème plan élaboré par Mohamed Ghannouchi et Nouri Jouini sous Ben Ali, allant jusqu’à 2014, est toujours en application, il n’a été ni modifié, ni suspendu, ni remplacé, point de propositions, de projets, ou d’action dans ce sens ni du gouvernement ni de l’opposition. Les projets annoncés à ce jour où les IDE vont encore pour l’essentiel aux mêmes régions historiquement favorisés par la dictature, estime Salhi Sghair.

«Les discours de ministres en charge de l’économie et du développement semblent être divergents sur certains points. Si le ministre du Développement et de la Planification semble adopter une approche volontariste et appropriée aux maux du développement, approche à laquelle j’apporte mon soutien, d’autres ministres semblent être trop inspirés du Livre blanc du gouvernement Essebsi qui est une reformulation sophistiquée de la thèse néolibérale avec un renforcement de la domination socioéconomique déjà exercée sur les régions appauvries avec de nouveaux mécanismes, telle que la proposition de répartition territoriale».

«Les Chicago boys de la Tunisie», c’est ainsi que Salhi Sghair décrit, «les idéologues du néolibéralisme débridé occupant toujours des postes de responsabilité au sein l’institution nationale bancaire de la rue Hédi Nouira. Ce sont eux-mêmes les concepteurs du modèle de développement en cours qu’ils ont mis en place quand ils étaient aux affaires pendant la période 1990-1995, modèle de développement qui fait que «les régions de l’intérieur ont été placées, par choix politique, à la marge de toute dynamique de modernisation, leur fonction principale étant de fournir de la main-d’œuvre bon marché pour les métiers jugés peu valorisants», dixit Livre blanc, page 43.

Le discours de bon nombre d’économistes de tout bord adopte une vision néolibérale. Leurs outils d’analyse et leurs horizons de vue ne dépassent guère les termes de croissance et d’investissement. Étonnamment ils ne distinguent pas entre croissance et développement, estime M. Salhi qui ajoute: «Ils refusent d’accepter l’échec de leur thèse, et de se rendre compte que même à un taux de croissance de 5% sous Ben Ali, une révolution sociale a eu lieu et que le quart de la population souffrait de pauvreté et les inégalités régionales étaient criardes».

Salhi Sghair répartit les responsables des déséquilibres régionaux en trois groupes. Le premier groupe, constitué des responsables de la conception, de la planification et de la mise en place du modèle de développement, concerne les présidents, les Premiers ministres et les ministres en charge du Développement et du Plan. Le second groupe est constitué par les responsables départementaux, en charge de la programmation et de la projection sectorielle, et de la pratique du développement. Les responsables (ministres) des départements de l’Equipement, de l’Agriculture, de la Sante, de l’Enseignement supérieur, du Transport, de l’Industrie, de la Formation professionnelle et d’autres, peuvent bien être concernés pour justifier de la géographie de leurs projets et leurs installations et de leur pertinence en termes d’équilibre régional en développement. Les logiques et responsabilités qui se cachent derrière l’implantation des zones industrielles et touristiques, la cartographie des facultés de médicine et des écoles d’ingénieurs, la géographie d’hôpitaux universitaires, l’acheminement et l’exploitation des eaux du nord, et du gaz algérien, l’affectation des revenus pétroliers et phosphatiers, toutes ses zones d’ombres doivent être éclaircies.

Le troisième groupe est constitué des responsables et «élus» locaux, tels que gouverneurs, membres du Parlement ou de la Chambre des conseillers et responsables similaires.

Tout ce beau monde serait, d’après Salhi Sghair, responsable des déséquilibres régionaux, et doivent être, par conséquent, jugé et questionné sur le rôle joué dans l’appauvrissement des régions et leur marginalisation.

Reste à savoir si la requête qu’il a adressée à la Constituante sera prise ou non en considération et quelle suite on lui accordera.