La Tunisie et le conflit syrien (2/2) : Notre pays a-t-il les moyens de sa nouvelle politique étrangère?


tunisie-syrie-03032012-320.jpgLe régime
Syrien n’est pas un enfant de cœur. Celui qui lui fait face ne l’et
pas non plus. Mais la question est peut-être ailleurs. Il faut en effet se
demander si la diplomatie tunisienne a les moyens de sa politique. Beaucoup
d’observateurs soutiennent que la Tunisie s’est déjà engagée dans un conflit qui
préfigure une nouvelle guerre froide.

Personne de normalement constitué ne pourra –il faut le reconnaître- défendre le
régime syrien de Bachar Al Assad. Le régime baathiste n’est pas, le moins que
l’on puisse dire, à ses premiers massacres. La soldatesque syrienne qui a tué,
jusqu’ici, plus de 7.000 citoyens syriens à Homs, Hallab et ailleurs en Syrie,
inscrit son action en droite ligne des boucheries perpétrées notamment à Hama,
dans cette ville martyre où le père de Bachar Al Assad, Hafedh Al Assad, a
assassiné, selon certaines sources, 10.000 personnes.

Reste que les indications qui nous viennent de Syrie n’offrent pas pour un
analyste tous les moyens de juger dans le détail ce qui se passe sur le terrain.
Certes, répétons-le, le régime baathiste d’Assad n’est pas un enfant de cœur
–loin s’en faut-, mais qu’y a-t-il en face de lui? Certaines sources parlent de
mercenaires financés de l’étranger. Si l’on croit le rapport de la récente
mission d’observation de la Ligue des Etats arabes (24/12/2011 au 18/01/2012),
«des actes de violence contre les troupes gouvernementales et contre les
citoyens ont entraîné de nombreux décès et blessures». Le même rapport fait état
également de «faux rapports émanant de plusieurs parties faisant état de
plusieurs attentats à la bombe et de violence dans certaines régions. Lorsque
les observateurs se sont dirigés vers ces zones pour enquêter, les données
recueillies ont montré que ces rapports n’étaient pas crédibles» (source). Une
mission dont le chef, le général soudanais Mohammed Ahmed Moustapha al-Dabi, a
démissionné, le 1er février 2012, sans que l’on sache exactement pourquoi.

Rares sont les reporters qui nous rapportent les faits

Il faut ajouter à cela que l’opposition syrienne est largement divisée. Les
choses ne vont pas pour le mieux entre, par exemple, le CNS (Conseil National
Syrien) et le Comité de coordination pour le changement national et démocratique
(CCCND), qui ne sont pas en odeur de sainteté. Le second ne reconnaît pas le
premier qu’il juge hégémonique et a boycotté la Conférence de Tunis.

Il est à noter que les informations qui nous proviennent sont pour l’essentiel
soit le fait du régime syrien qui défend sa peau, soit d’un certain Observatoire
syrien des Droits de l’Homme, largement cité par tous les médias occidentaux.
Rares sont les reporters qui nous rapportent les faits sur le terrain. Ils sont
sans cesse exécutés. Les médias se sont dès le début invités dans la bataille.
Et les soupçons ne peuvent que peser sur eux. Que penser de la chaîne Al Jazeera,
propriété de l’émir du Qatar, qui s’est jeté dans la bataille contre le régime
de Damas celui-là même qui est allé jusqu’à proposer une intervention militaire?
Des informations ont du reste circulé sur Internet soulignant que «le Qatar a
fait construire à Doha des décors en carton pâte représentant Bab el-Azizia (la
place sur laquelle se trouvait l’ancien palais de Mouammar Kadhafi) et la Place
verte (la place centrale de Tripoli où le «Guide» prononce ses discours)» pour
être utilisés dans les reportages à diffuser sur les événements en Lybie (voir).

Que pensez aussi de ces vidéos qui reproduisent des images amateurs de
manifestations filmées de loin et montrant pratiquement les mêmes scènes.
Précédées de cartons indiquant les lieux et le jour qui seraient fabriquées dans
des studios? Allez voir!

Vraies ou fausses, ces informations incitent à la prudence. Il faut se rappeler
à l’occasion que les images diffusées par les télévisions occidentales, en
décembre 1989, à la chute du régime de Ceausescu, ont annoncé quelques centaines
de morts, puis jusqu’à 70.000 morts quelques jours plus tard. Ils diront plus
tard qu’il s’agissait d’un faux, que les morts montrés à la télévision avaient
été déterrés du cimetière de la ville.

Autre épisode crucial, le 5 février 2003, quand Colin Powell, alors ministre
américain des Affaires étrangères, plaidant, devant le Conseil de Sécurité des
Nations unies, pour une action militaire contre l’Irak, s’appuie sur des photos
satellitaires et des écoutes téléphoniques concernant la détention par l’Irak
d’armes de destruction massive, largement transmises par les télévisions du
monde entier, et accuse le régime de Bagdad d’entretenir des liens avec
l’organisation terroriste Al-Qaida. On saura plus tard qu’il n’en est rien.

Des géopoliticiens annoncent une nouvelle redistribution des cartes

Mais plus important encore: il faut se demander si la diplomatie tunisienne a
les moyens de sa politique. Beaucoup d’observateurs soutiennent que la Tunisie
s’est déjà engagée dans un conflit qui préfigure une nouvelle guerre froide.
Celle-ci n’oppose pas les seuls Russes et Chinois aux membres de l’Occident. En
effet, des géopoliticiens annoncent une nouvelle redistribution des cartes: la
Russie et la Chine pourraient conduire un front auquel se joindraient des pays
asiatiques comme Kazakhstan et la Biélorussie, et pas seulement eux. Certains
vont plus loin en évoquant même une troisième guerre mondiale (voir «La Russie
et la Chine se préparent à une troisième guerre mondiale
»).

Quoi qu’il en soit, la Tunisie, un petit pays ouvert à toutes les menaces et aux
ressources limitées, et qui n’a manifestement pas aujourd’hui les moyens de se
doter de grands pouvoirs, ni de peser fortement d’un poids certain dans les
relations internationales, a peut-être opéré, dans le cas du conflit syrien, un
choix qui n’est pas des meilleurs.

Le débat est du reste lancé. Et les faits montreront si la diplomatie tunisienne
a eu raison!