Tunisie : “L’Etat ne restera pas propriétaire des entreprises confisquées”, affirme Slim Besbes (Finances)

slim-besbes-finances-1.jpgNous ne pouvons pas dire que Slim Besbes, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Finances, n’a pas les idées claires. Lui qui avait appelé à Abou Dhabi à la mobilisation d’un milliard d’euros sous forme de dons rapidement encaissables pour le financement de projets de court terme, estime impératifs les investissements de l’Etat dans des projets de développement dans les régions. Il pense également que plus d’incitations fiscales cela dépendra des prédispositions du secteur privé à recruter plus: «Vous créez plus d’emplois, nous vous encourageons plus». Un deal assez logique dans la conjoncture actuelle par laquelle passe le pays et dans laquelle la seule «croissance» palpable concerne les chômeurs dont le nombre s’élèverait aujourd’hui à 800.000.

Entretien

WMC : Quelles sont les grandes lignes de la nouvelle Loi des finances?

Slim Besbes : Répondre à votre question supposerait qu’elle soit définitivement adoptée au niveau du gouvernement, ce qui n’est pas encore le cas. Le but est de mûrir la réflexion pour décider des meilleurs choix en la matière et qui soient conformes aux attentes et aux urgences du pays.

La loi des finances complémentaire touchera en premier lieu l’actualisation de la Loi des finances elle-même, car les donnes ont changé depuis le mois de septembre 2011. Les éléments qui étaient à la base des prévisions concernent le taux de croissance, les tarifs des hydrocarbures, les cours du dollar et de l’euro ainsi que tout ce qui se rapporte à la stabilité sociale. Mais tous ces facteurs ont évolué autrement.

J’estime qu’aujourd’hui nous disposons de plus d’éléments pour plus de visibilité. La deuxième partie de notre travail consiste à intégrer les orientations et les programmes gouvernementaux dans le projet de Loi des finances.

La loi initiale des finances est une loi sans couleurs, sans odeurs et sans goût et c’est normal parce que son objectif était surtout d’assurer la continuité de l’Etat. Nous avons donc dû tout refaire de zéro. Notre premier objectif est social et se rapporte à l’emploi et à toutes les préoccupations de cet ordre. D’après les chiffres, le taux de chômage s’élève à 800.000, même si, d’après moi, aucun économiste ne peut définir avec exactitude le nombre de chômeurs dans notre pays. La seule certitude reste que nous avons un point noir appelé “emploi“. Il existe des demandes pressantes de la part des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur qui veulent être actifs.

Le deuxième aspect concerne la pauvreté. Pareil, les chiffres ne sont pas fiables. Avant on nous disait que la pauvreté ne dépassait pas les 3%, le ministère des Affaires sociales a signifié récemment que nous étions à près de 25% de taux de pauvreté. Les classes défavorisées sont devenues aujourd’hui plus exigeantes dans leurs revendications; les pauvres ne sont plus des résignés et c’est tout naturel, c’est leur droit d’autant plus que la révolution a été faite par eux et pour eux.

Dans la loi complémentaire, nous veillerons à intégrer les déséquilibres régionaux, le chômage, l’amélioration du niveau de vie et la pauvreté.

On parle d’un taux de croissance égal à 0% pour l’année 2012. Qu’en est-il au juste?

Je ne sais pas comment on a pu calculer ce taux. Je pense personnellement que nous n’étions pas optimistes parce que nous avons prévu 3,5% de taux de croissance et nous tablons sur la stabilisation de la situation sociale pour le réaliser.

L’instabilité a été à l’origine des réalisations négatives en 2011; aujourd’hui, nous pouvons parler de reprise. Toutes les activités touchées en 2012 redémarrent, comme les hydrocarbures, le phosphate et le tourisme. Pendant les premiers 40 jours de 2012, nous avons observé une croissance de 70% du tourisme par rapport à la même période en 2011. Personne ne peut contester la reprise.

Nous nous attendons à plus de visibilité après l’adoption de la Loi des finances complémentaire et à plus de croissance après la relance de l’investissement de l’Etat.

A combien situez-vous le plus au niveau des investissements de l’Etat?

Nous allons augmenter de 25% les projets de développement. Et cela exigera de l’énergie et des efforts supplémentaires de la part de tous les acteurs économiques pour assurer la réalisation des projets espérés. Il faut mobiliser les énergies pour raccourcir les délais et accélérer les réalisations.

Prévoyez-vous de nouvelles incitations à l’entrepreneuriat pour l’encourager à investir?

Les mesures fiscales qui ont déjà été prévues sont très encourageantes surtout celles stipulées par le décret 2011 et en rapport avec le développement régional. S’il y a de nouvelles incitations, elles concerneront l’emploi. Nous voulons que les entrepreneurs fournissent plus d’efforts pour embaucher les jeunes et ils bénéficieront de plus d’avantages selon leurs prédispositions à recruter.

Nous comptons également insister sur l’impératif de la transparence et des bonnes pratiques. En 2011, le recouvrement des créances de l’Etat a été lésé de 50%. Nous comptons lancer un projet de réconciliation avec les entreprises en défaut de paiement pour régulariser leur situation et lancer des mesures dissuasives pour celles qui ne veulent pas s’acquitter des impôts, car en fait elles lèsent les contribuables honnêtes. La justice sociale protège le contribuable droit, car les autres bénéficient d’un avantage comparatif par rapport à lui.

Et concernant les investissements privés?

Il est évident que nous ne ferons pas que du social, le développement et l’investissement représentent un souci majeur pour nous pour lutter contre la pauvreté et le chômage, surtout dans les régions qui souffrent de déficits à ce niveau. Nous comptons renforcer les projets de développement en tant qu’Etat en lançant des projets d’infrastructures de bases et en initiant les gros travaux qui ne peuvent être du ressort des privés.

D’autre part, et sur le plan diplomatique, nous souhaitons renforcer notre action pour trouver des partenaires qui financeraient des projets de développement. Nos partenaires étrangers, qu’ils soient publics ou privés, ont confiance en nous et sont prêts à investir dans notre pays. Avec pour seules conditions la stabilité et la rentabilité. Ils estiment que la Tunisie n’est plus un Etat à risque et anticipent sur des conditions favorables sur le long terme. Leur lecture est macroéconomique. Le grand changement a déjà eu lieu, il y a une volonté irréversible de la part des dirigeants du gouvernement et ceux de la société civile pour un choix éminemment démocratique plaidant pour les bonnes pratiques, une meilleure gouvernance, la transparence et la lutte contre la corruption et les malversations.

La notion de l’Etat de droit est assez ambiguë en l’absence d’une Constitution… Et ceci est de nature à inquiéter les investisseurs…

La Constitution ne se fera pas en un mois. Nous sommes sur la bonne voie. Si nous avons réussi des élections démocratiques, c’est que nous avons prouvé notre maturité et notre capacité à écrire une Constitution qui réponde au modèle tunisien.

Nous sommes d’accord sur les fondamentaux qui sont que l’Etat doit être civil, respectueux des Droits de l’Homme, préservant et élargissant les libertés mais aussi plaidant pour le respect des devoirs, le devoir fiscal et militaire.

En fait, nous plaidons pour les ingrédients d’un Etat démocratique à même d’œuvrer pour un essor économique et un développement social, la justice et l’équité.

A propos de justice et d’équité, qu’en est-il des groupes d’entreprises confisqués par l’Etat et quelle approche appréhendez-vous pour les préserver et ne pas les laisser péricliter?

Pour ce qui est des participations, 118 sociétés sont concernées et la première action que nous avons accomplie en tant que ministère des Finances c’est la mise en place d’une structure logistique et le remplacement des administrateurs judiciaires. Nous sommes en train d’organiser les structures de gestion. Ce n’est pas facile de satisfaire tout le monde. D’ailleurs, il y en a qui se plaignent des choix des gestionnaires et qui remettent en cause leur désignation. C’est l’Etat qui nomme les managers au droit de tout associé majoritaire. La logique juridique des nominations des dirigeants revient à l’actionnaire majoritaire, qu’il s’agisse d’une entreprise médiatique ou autre. Il n’y a rien de révoltant dans le fait que l’Etat mette fin au mandat d’un administrateur judiciaire qui soit un symbole dans le secteur médiatique.

Vous parlez là de Shems FM?

Entre autres. L’Etat a le droit de nommer les personnes qui le représentent sans état d’âme. Cela ne veut pas dire que nous avons une prise de position par rapport à telle ou telle personne. L’administrateur est de fait provisoire, c’est le cas pour nous et cela ne nous émeut pas plus qu’il n’en faut. Aujourd’hui, les représentants que nous désignons assurent la mission de managers jusqu’à la cession finale. Nous ne comptons pas, en tant qu’Etat, devenir le propriétaire des entreprises confisquées. Elles évoluent dans des secteurs concurrentiels et l’Etat ne compte pas faire marche arrière en devenant agriculteur, média, commerçant, hôtelier et banquier même s’il s’agit d’une banque islamique.

Le principe du bien mal acquis ou bien acquis serait-il adopté dans votre traitement des dossiers des biens confisqués?

Le décret présidentiel a signifié que l’on doit prouver que les biens confisqués sont véritablement mal acquis et qu’ils doivent revenir de plain droit au peuple auquel ils ont été subtilisés. Mais si l’on prouve que ces biens sont le produit d’un héritage ou acquis par des moyens légaux et légitimes, il est tout à fait normal qu’ils reviennent à qui de droit.

Pour ce qui concerne la commission, elle peut faire l’effort d’effectuer autant de recherches et d’investigations qu’il faut pour ne léser personne, mais c’est aux tribunaux de trancher en définitive et à la commission d’appliquer la loi. Toutes les décisions de la commission sont attaquables.

Pour ce qui est des actions des entreprises confisquées qui seront mises sur le marché boursier, des craintes se sont exprimées quant à la possibilité de dévaloriser ces portefeuilles en noyant le marché?

L’Etat est beaucoup plus rationnel que cela. Nous connaissons les mécanismes de la Bourse qui est gérée par une institution sous tutelle du ministère des Finances. L’Etat est garant de l’efficience et de la rentabilité des opérations de mise sur le marché des portefeuilles des entreprises en question pour protéger les droits des uns et des autres y compris ceux des actionnaires qui ne doivent pas être lésés par cette démarche.

Comment comptez-vous gérer les entreprises qui vivent de graves difficultés tel qu’ Orange Tunisie qui traverse des moments délicats?

Nous ne laisserons aucune de nos entreprises dépérir. Notre première mission, en tant que comité de gestion, est justement de gérer les problèmes des entreprises sous notre responsabilité. Nous avons affaire à ce genre d’entreprises au quotidien. Pour ce cas précis, nous avons eu des réunions avec les associés français et l’administrateur judiciaire. Nous veillerons à préserver les intérêts d’Orange car c’est un patrimoine qui appartient à des Tunisiens à hauteur de 51%, c’est un patrimoine national dont les intérêts nous tiennent à cœur et nous ne voulons pas perdre un investisseur de taille comme France Télécom..

Concernant la Banque Zitouna, on parle d’un acquéreur saoudien. Qu’en est-il au juste?

Nombreux sont ceux qui désirent acquérir la Banque Zitouna, le gouvernement est en train d’étudier les demandes qui lui ont été soumises et le meilleur gagnera. Ceci étant, il ne faut pas omettre le fait que nous voulons développer la finance islamique dans notre pays car elle draine des capitaux et mobilise l’épargne. D’autant plus que la Tunisie veut se positionner en tant que place financière internationale, et à ce titre, elle doit attirer ce genre de produit. Nous sommes vigilants pour le choix de nos partenaires.