«Je déteste la démocratie, telle qu’elle est pratiquée chez nous! On libère les criminels, on laisse des extrémistes fous de Dieu s’adonner à la violence du verbe, du geste, on reçoit à bras ouvert des extrémistes, rétrogrades au nom de la démocratie! Et on s’apprête à accueillir une association qui prône la Califat pour le bien-être des femmes! Je déteste la démocratie».
Ce commentaire recueilli sur la page Facebook d’une internaute éclairée édifie sur l’état d’esprit dans lequel se trouvent des centaines de milliers de Tunisiens qui commencent à douter du processus démocratique dans leur pays et même de cette notion «d’islamisme modérée» que l’on croit capable de créer une «démocratie moderne».
Car à bien réfléchir, le concept même de l’islamisme éclairé est complètement confus. De point de vue terminologique, l’islamisme modérée, tels que les USA et certains Occidentaux veulent nous vendre, n’existe pas. On définit «l’islamisme, comme étant une terminologie contemporaine visant à définir un islam radical, qui s’est construit sur la faillite des Etats nationaux discrédités et en réaction contre l’Occident dominateur».
Le désir de récupérer des islamistes représentant une menace sur la sécurité des pays occidentaux ou celui de redessiner la sphère géographique arabo-musulmane en faveur des intérêts des grandes puissances, la préservation des intérêts de l’Etat israélien, expliqueront-ils le soutien de pays tel les Etats-Unis d’Amérique aux courants islamistes qui sévissent aujourd’hui dans les pays du Maghreb et du Machrek comme Ennahdha en Tunisie ou les Frères musulmans en Egypte?
En fait, parler d’islamisme modéré dans un pays comme la Tunisie, lequel de fait l’a toujours été, relève presque du pléonasme. Il aurait fallu «l’imposer» dans un pays comme l’Arabie Saoudite, complètement acquise à la doctrine wahhabite prêchant pour non pas un islam mais un islamisme pur et dur. Toute la nuance est là. L’islamisme rime tout naturellement avec extrémisme, l’islam, lui, est pratiqué différemment selon le contexte géoculturel suivant des traditions bien établies depuis des siècles.
L’islam tunisien malékite, enseigné à la Zeitouna, a toujours été tolérant et ouvert et n’a jamais défendu des thèses extrémistes et radicales. D’où cette incapacité d’une grande partie de l’intelligentsia et des classes éclairées en Tunisie à comprendre le pourquoi du succès d’un parti islamiste aux premières élections démocratiques en Tunisie.
Double discours ou victimisation?
On ne peut pas dire que le passé «militantiste» des membres d’Ennahdha et les exactions dont ils ont fait l’objet de la part du régime Ben Ali n’ont pas joué en leur faveur lors des élections. Nombre d’électeurs émus par les souffrances des militants du parti, aujourd’hui au pouvoir, les ont choisis, d’autres ont été plus séduits par les valeurs de droiture, d’honnêteté et de justice qu’ils prônent. «Ne sont-ils pas des musulmans convaincus et pratiquants qui ont peur de Dieu et par conséquent qui ne nous lèseront pas, ne nous voleront pas et ne déposséderont pas la communauté nationale de ses biens?». Un vote récompense fondé plus sur l’émotionnel que sur la conviction d’adhérer à un programme socio-économique clair et à même de s’attaquer de manière efficiente aux maux du pays tels le chômage, la pauvreté et les déséquilibres régionaux.
Le partis Ennahdha, élu, a promis le maintien de la continuité en ne changeant que quelques postes «politiques» au sein du gouvernement alors en place. Mais très vite, nous avons assisté à des discussions épineuses avec ses alliés, le CPR et Ettakatol et le gouvernement tout entier a été chambardé avec des dizaines de ministres conseillers.
Soit. La Constituante a été élue légitimement, quoi de plus normal que de choisir les membres du gouvernement?
En guise d’ouverture sur les autres partis, le deal était clair: «Vous participez au gouvernement, mais c’est nous qui prenons les décisions finales», nous affirme un témoin proche d’un parti d’opposition.
Dans les discours adressés au peuple ou à l’international, les leaders d’Ennahdha ont promis, ont défendu l’ouverture et la tolérance sauf qu’entre discours et réalité, il y a un gap énorme. Et qu’entre affirmations, dénégations, démentis et justifications, on commence à se perdre et à ne plus y croire. Loin de colporter les informations selon lesquelles le parti, aujourd’hui au pouvoir, aurait promis à ses électeurs des «moutons», aurait distribué des sommes d’argent ou payé les dettes contractées auprès des épiciers par des familles démunies… Ce qui reste à prouver, il faut reconnaître qu’en matière de double discours, Ben Ali et ses acolytes n’auraient pas été les premiers de la classe.
Dernière nouvelle, Abdelkrim Harouni, ministre (Ennahdha) du Transport, affirme que le gouvernement est visé par un complot, Saïd Mechichi, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la Réforme indique qu’il n’y a aucun complot contre le gouvernement. Lequel des deux croire?
La politique de la diversion, c’est ce qu’on fait le mieux aujourd’hui dans notre pays. Au lieu de résoudre les problèmes du chômage, attaquons les médias, ce sont les racines du mal. Faute de gérer comme il se doit les catastrophes naturelles comme la neige et les inondations, descendons en morceaux la télévision nationale, c’est à cause d’elle qu’il y a eu autant de neige dans le pays… Le grand Rached Ghannouchi, lui-même, donne le ton et s’acharne sur la presse nationale alors que le ministre des Affaires étrangères de la Tunisie dénigre ses concitoyens sur la chaîne vedette du Qatar. Une honte! Dès que les médias tunisiens exercent leur liberté de parole, d’écrits et d’expression, ils sont taxés de toutes les horreurs. C’est à croire qu’un journaliste doit être une machine à écrire, à couvrir sans aucun esprit critique, aucune dimension analytique et aucune aspiration à comprendre les faits pour les transmettre comme il se doit et parfois même comme il les voit.
Le journaliste doit être, selon ses détracteurs, qui sont du coup devenus tous des spécialistes des médias et de leur neutralité et leur objectivité, un simple outil de transmission de données; un télex en somme.
Pire, si détourner l’attention du public en enfonçant les médias ne suffit pas, invitons donc des prêcheurs, nous l’occuperons assez pour qu’il oublie que la Constituante n’a pas entamé à ce jour la rédaction du premier article de la Constitution, que le gouvernement n’a pas encore fixé des délais pour les prochaines élections et que les blessés ainsi que les martyrs de la révolution n’on pas encore été entourés de l’attention qu’ils méritent.
Pas de séparation entre Etat et religion et passe-droits, un droit…
Combien de fois avons-nous entendu les dirigeants d’Ennahdha dire et redire que leur parti n’est pas religieux? Pourtant, récemment, Rached Ghannouchi a affirmé sans aucun doute que «l’Islam n’a jamais connu, ni dans ses textes ni dans son histoire, de séparation entre la religion et la politique ou entre le temporel et le spirituel. La politique est un catalyseur qui est promu au rang de culte. La religion ne peut être une affaire personnelle, mais une affaire publique et une façon de vivre. La séparation entre la religion et l’Etat contredit le message de l’Islam et tout appel à leur séparation est une atteinte à la pensée islamique». Soit dit en passant, on omet très souvent de dire que presque 90% de notre ancienne Constitution a été inspirée de la Chariaâ, si ce n’est l’abolition de la polygamie et d’autres menus détails. Alors à quoi rime ce débat byzantin, si ce n’est à gagner du temps à la faveur d’agendas pour faire une marche arrière civilisationnelle de la Tunisie?
Ce même Rached Ghannouchi, qui n’a cessé de critiquer les mauvaises pratiques du régime Ben Ali avec «ses passe-droits», «ses malversations» et sa «corruption», a tenu à nommer contre vents et marées son beau-fils ministre des Affaires étrangères, ignorant totalement la répréhension du peuple encore profondément atteint par la trop forte présence de l’ancienne famille du président dans l’Etat. Le gouvernement Ennahdha est presque familial, les députés sont des parents aux ministres, parents eux-mêmes les uns des autres. A titre d’exemple, Habib Ben Khidhr, député Ennahdha, est le neveu du ministre des Affaires étrangères et frère du PDG de la Télévision nationale. Le secrétaire général du gouvernement serait, pour sa part, également un parent du ministre des Affaires étrangères…
Sur un tout autre volet et pour réformer sur le terrain comme se plaît à le dire et répéter M. Ghannouchi, on accorde à Adel El Almi, qui ne peut prétendre être un Fakih et vendeur de légumes de son état, le visa pour une association qui veillerait à la promotion de la vertu et la prévention du vice («Instance centrale de la sensibilisation et de la réforme». Adel El Almi prétend qu’il n’interviendrait que sur la demande de ses concitoyens. Lesquels et à quel titre? L’histoire nous le montrera. En attendant au ministère de l’Intérieur, on assure et on veut rassurer: «Aucune autorité ne prévaut à part celle de l’Etat qui possède la contrainte policière»…
Sur le terrain aussi, la Tunisie n’aurait jamais vu atterrir sur son sol autant de prédicateurs et de prêcheurs obscurantistes auxquels on accorde des visas beaucoup plus facilement qu’aux hommes d’affaires ou aux touristes désintéressés. Il y en a même qui rêvent de reconquérir cette terre d’islam occidentalisé. Le ridicule ne tue pas.
Ennahdha, qui a voulu tranquilliser les Tunisiens sceptiques quant à ses convictions démocratiques, ne cesse de nous livrer sur terrain des signaux qui ne sont aucunement rassurants, nous donnant l’impression que les chiens aboient et la caravane passe. Le parti a cultivé la politique de proximité en prenant pour lieu de rencontre les mosquées, lesquelles sont devenues des lieux de propagande (500 sous influence salafiste) à tel point que nombre de pratiquants commencent à les fuir, ce qui n’empêche pas certains extrémistes à occuper les lieux publics pour faire la prière du vendredi alors qu’il y a de la place dans les mosquées.
Les actes de violence verbale à l’encontre des femmes sont de plus en plus fréquents comme pour dire que toute femme non voilée n’est pas «respectable» et la violence physique visant les journalistes est devenue banale. Deux fronts de résistance dans la Tunisie actuelle, les femmes et les médias attaqués de toutes parts et à chaque fois, la version officielle est que ce sont des actes individuels, des faits divers et que c’est à la justice de trancher.
Le laxisme des pouvoirs publics face à des actes de violence qu’on juge sans intérêt est plus qu’inquiétant et rappelle une citation de Salah Karkar, membre d’Ennahdha rapportée par Le Figaro du 8 novembre 1993: «La violence? Je ne peux pas la conseiller…mais je ne peux pas la désapprouver».
“On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps“, dixit Abraham Lincoln.