«Si on m’oblige à porter le niqab ou un voile, je me suiciderai»; «si on m’oblige a être une troisième épouse, je fuirai sans jamais revenir»; «si on porte atteinte à nos droits, je partirai faire des études à l’étranger et ne reviendrai plus jamais»…Qui n’a pas entendu pareils propos depuis quelques semaines ou mois?.
Yesmine a 16 ans. Lycéenne, brillante sportive, intelligente, dynamique, elle ressemble à toutes les jeunes filles de son âge, ou presque. Elle est certes privilégiée mais comme elle, toutes les filles, les nièces, les sœurs, les tatas, tatis et khalti ont conscience qu’elles sont femmes comme dans très peu de pays arabo-musulmans.
Elles se savent menacées dans leurs droits et résistent, qu’elles soient potières de Sejnane en continuant à faire leurs poupées, ou qu’elles vivent dans des milieux ruraux continuant à cueillir les olives et travailler la terre. Elles triment pour faire bouillir la marmite familiale. Les questions de répudiation, d’héritage, de polygamie, elles y ont peu de temps à accorder.
Des femmes comme Malika B, une trentenaire aux magnifiques yeux verts, il y en beaucoup. Encore beaucoup trop. Les journées et nuits de la jeune femme se déroulent sur la bretelle de l’autoroute de Kairouan. Malika est dans la rue jusqu’au petit matin, faisant bouillir des œufs et préparant des sandwiches pour les conducteurs de poids lourds et aux hommes affamés qui s’arrêtent pour se restaurer: «Ils veulent me mettre à la maison mais ma maison est cette rue! Ma cuisine se trouve sur cette route. J’ai trois garçons et un mari handicapé. Personne ne pourra m’obliger à arrêter de travailler. Quant à lui et vu son état, personne ne voudra de lui. C’est moi qui le nourris depuis plus de 15 ans. Il n’a jamais travaillé…». Tout est dit ou presque!
Les Tunisiennes sont des battantes. Partie prenante durant la révolution, elles sont de tous les combats pour la construction du pays. Etre femme et Tunisienne est au delà de la fierté, une attitude, une façon d’être et de vivre, de penser et de s’identifier. Une «tunisianité» féminine qui reste singulière dans une région du monde où les pressions sociétales sont encore très lourdes.
Pourtant, en ce deuxième 8 mars postrévolution, la situation a changé. Les femmes sont-elles aussi satisfaites qu’il y a un an en se libérant de la dictature? Ont-elles peur? Sont-elles menacées? La révolution se retourne-t-elle contre elles? Les droits acquis par les Tunisiennes sont-ils faciles à abroger? Se focalisent-elles contre des peurs injustifiées?
Que vous le croyez ou non, dans cette Tunisie de 2012, on parle de rétablir la polygamie, d’interdire l’avortement, on mentionne le mariage «orfi», on parle de l’obligation de port de voile … Autant d’aberrations qui sonnent le glas pour un retour en arrière contre lequel les femmes résistent et se battent. Oui mais pas assez. «Avec plus de 100 partis politiques, il n’y a pas une femme chef de parti. Qui travaille sur l’évolution des mentalités? Quand bien même une femme émergerait à la tête d’un parti, elle ne sera pas plus que ministre de la Femme ou de la Culture. Une femme sera très difficilement chef de gouvernement ou présidentiable avec de vraies chances de gagner des élections. Le pays n’est prêt», dira un membre du bureau politique d’un parti progressiste.
Pourtant, sur son perchoir, la N°2 de l’Assemblée constituante est une femme. Membre d’Ennahdha et portant le voile, elle s’est positionnée contre le niqab, pour le CSP et a beaucoup vécu dans un pays laïc qui a fait d’elle ce que certains admirent et redoutent à la fois. Mais que représente la majorité des femmes au sein de la Constituante? Qui sont les autres élues femmes et que pèsent-elles vraiment? Quelles sont les chances d’inscrire le CSP dans la Constitution sachant que les coups de griffe contre lui se sont multipliés depuis des mois via Souad Abderahim, Rached Ghannouchi, Sahby Atigue… En créant une formation parlementaire féminine au sein de l’Assemblée, les femmes ne deviennent-elles pas une force de propositions dépassant les limites de la revendication?
Il faut dire que l’instant est grave et qu’au règne de la confusion et des contradictions, on assiste a des revirements surprenants et pas toujours d’où l’on pense. Comment arriver à trier le vrai du faux quand même des partis républicains font le «sale boulot» d’Ennahdha par rapport au CSP? Qui cherche à semer la confusion en portant atteinte à des droits aussi fondamentaux pour ne citer que la proposition du remplacement de l’Etat-civil du CPR?
Gilbert Naccache se laisse aller à une explication dont voici les propos: «Comment expliquer la proposition du CPR? Que cette loi permettra d’harmoniser notre législation en la matière avec celle d’autres pays arabes, comme l’Egypte et le Maroc. Et voilà, il n’aura pas fallu plus de treize mois après la révolution pour que ces adhérents du CPR ne disent la honte qu’ils éprouvent –qu’ils ont toujours éprouvée?– à faire partie d’un pays qui, en matière de statut personnel, est en avance sur tous les pays arabes. Ils veulent faire reculer le pays, le ramener, sur ce plan, à celui du Maroc ou de l’Egypte. Pourquoi sur ce plan seulement? Pourquoi pas sur celui du régime (la monarchie est-elle si affreuse?) ou sur le mode de pouvoir (l’armée n’est-elle pas capable de gouverner?), et sur d’autres plans encore… Non, Messieurs du CPR, nous ne voulons pas aller en arrière! Vous voulez aller contre l’histoire, contre la révolution, que ne le disiez-vous avant les élections!».
Celles qui comme moi aujourd’hui ont quelques 40 ans sont les filles de mères soixantenaires. Mères et filles n’ont jamais connu la vie sans le Code du Statut Personnel (CSP), prenant leurs acquis et responsabilités pour irréversibles. Peut–être même que par moment, elles n’en n’ont pas mesuré toute la portée.
Aujourd’hui, alors que la voie est ouverte pour l’égalité autant dans la vie politique que sociale, des forces rétrogrades tirent en arrière. Les femmes, battantes qu’elles sont bâtisseuses. Elles n’ont de cesse d’inscrire leurs droits dans la Constitution. Elles sont une partie conséquente de la société civile soutenues par leurs maris, amis, conjoints, professeurs, enfants … Des citoyens qui n’imaginent pas la Tunisie tolérante et prospère sans leurs femmes, filles, sœurs, amies, partenaires…
En cette veille du 8 Mars, une forte mobilisation se prépare. L’appel s’adresse à toutes les femmes de la Tunisie pour rejoindre la marche du 8 Mars au Bardo de 12 à 15h. L’appel est on ne peut plus clair: «Je suis la mère qui a donné naissance à tous les hommes et femmes qui ont libéré la Tunisie. Je suis la mère qui a couvé ce pays et l’a protégé de tous les prédateurs. Je suis femme au foyer, enseignante, médecin, infirmière, fermière, femme de ménage, pilote, ingénieur, peintre, poète ou ouvrière… Je suis et je resterai la mère de l’indépendance, du progrès et de la construction. MES DROITS SONT ET SERONT INTOUCHABLES, MON AVENIR, C’EST MOI QUI LE CONSTRUIS».
Le chemin reste ardu mais on ne peut s’empêcher d’avoir des pensées pour ces hommes qui ont cru qu’une société ne pouvait s’épanouir qu’avec l’équilibre des forces et de ses ressources humaines. On ne peut s’empêcher de penser à Cheikh Djait, à Tahar Haddad, à Fadhel Ben Achour, à Bourguiba…On ne peut s’empêcher de penser aux sacrifices de Majida Boulilla, Fatma Fehriya, Aziza Othmana,…
Reste une question: quelle est cette haine que portent certains hommes aux femmes ou à certaines d’entre elles?