L’image des salafistes s’excitant devant l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique et y brûlant un drapeau lui rappelle un cauchemar: «Ce genre de scènes est révolu. En Algérie cela serait ridicule de faire une chose pareille et ferait sourire à peu près tout le monde», dit Amara Ben Younes, secrétaire général du Mouvement populaire algérien (MPA) de passage en Tunisie où il a rencontré des membres de sa communauté établie dans notre pays, ainsi que des représentants de partis politiques tunisiens.
Ben Younes a également fait part aux médias de son expérience avec les fondamentalistes. Contrairement aux leaders tunisiens, il choisit de ne jamais utiliser le mot islam, islamiste, musulman ou croyant quand il parle d’eux: «Je n’utilise que fondamentaliste ou fondamentalisme. L’islam est à nous autant qu’à eux. Nous sommes de vrais musulmans, de cet islam pacifique qui remplit de pardon et de compassion. Eux, sont des politiques qui, sous un voile de religiosité, veulent le pouvoir et utilisent toutes les méthodes pour l’obtenir». En Algérie, ils ont utilisé la violence tuant plus de 44 journalistes. Le pays a plongé dans un tourbillon infernal qui a coûté la vie à 200.000 personnes et 15 ans de traversée de désert.
Ben Younes a-t-il des conseils à prodiguer aux Tunisiens? Oui plein, surtout qu’un désarroi semble planer sur eux puisqu’un récent sondage estime que 48% des gens ne se retrouvent dans aucune formation politique malgré les 135 partis qui y opèrent depuis le 14 janvier. Sait-on faire la politique en Tunisie? Arrive-t-on a construire des discours autres que ceux d’une opposition désordonnée et des propos acharnés contre Ennahdha (parti gagnant des élections du 23 Octobre) et menant quelque peu la danse au sein de l’Assemblée constituante?
Nécessité d’un réajustement du discours…
Ben Younes propose d’affiner le positionnement et le réajustement des discours des partis démocrates. Seul parti laïc affrontant le FIS et ayant perdu 124 de ses militants, son parti des années 90 a buté sur le concept de la laïcité. Il préconise donc aux démocrates d’avoir une double stratégie du discours politique: «On ne peut pas évacuer l’idéologique, ce sont les valeurs même d’un parti. Par contre, il faut se présenter avec des solutions et des propositions concrètes aux problèmes des citoyens. Si vous vous présentez avec des concepts liés uniquement à la stratosphère philosophique ou idéologique, le citoyen l’assimilera à l’image qu’on lui donne. Celle d’une élite détachée composée de savants et de mécréants avec des femmes qui fument et des hommes qui boivent…».
Ben Younes rajoute qu’il faut savoir tirer les leçons de l’histoire: «Vous avez à faire à une Internationale islamiste qui utilise les mêmes procédés et moyens partout dans le monde. C’était la même démarche avec le FIS en Algérie, le Hamas en Palestine ou Ennahdha chez vous. Les mêmes slogans, la même stratégie, les mêmes diversions et intimidations… Prenons acte tout de même que les moyens des partis démocrates sont dérisoires par rapport aux chèques qui viennent des pays du pétrole… Alors qu’ils se concentrent et travaillent hors du terrain qui est le leur. Il ne faut en aucun cas aller sur le plan religieux, vous y avez perdu d’avance! Avec 5 réunions quotidiennes et un congrès tous les vendredis, les mosquées étaient des relais à leur disposition en Algérie où, fort heureusement, l’Etat a récupéré ces espaces. Qu’en est-il chez vous?», s’interroge-t-il.
La question tape dans le mille. En Tunisie, cela n’est absolument pas encore le cas. Loin de là! Ces espaces ont échappé à l’autorité de l’Etat et sont devenus la scène de débordements de violences. Selon un récent sondage paru dans le journal El Maghreb, 51% des Tunisiens expriment leur crainte de l’extrémisme religieux.
Cependant, Ben Younes attire l’attention que plus l’islam qui caractérise les pays du Maghreb s’épanouira, plus il sera le rempart contre l’obscurantisme. «La société algérienne est profondément religieuse et pieuse de cet islam qui est le nôtre, ouvert et tolérant. Vous allez découvrir qu’au fil du temps, plus le Tunisien sera pratiquant et croyant, plus il s’éloignera de l’extrémisme».
L’outrage du drapeau tunisien…
A l’heure où l’université tunisienne vit une période de grandes perturbations, on enregistre le début de vraies violences envers les femmes et les journalistes. L’attaque du drapeau tunisien signe une escalade supplémentaire vers plus d’affrontements. Décodé comme étant une déclaration de guerre, cet acte laisse éclater la violence qui couvait depuis des mois et qui s’accentue face à la passivité du gouvernement.
Les dires de Ben Younes se vérifient déjà lorsqu’il conclut par une mise en garde contre la violence: «Soyez vigilant, dénoncez la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Les fondamentalistes tunisiens n’iront pas forcément vers cela car ils sont au pouvoir, mais sachez qu’ils feront tout pour le garder. Les journalistes et les femmes sont les premiers qu’ils visent, et retenez qu’ils étalent leur force et n’avancent qu’aux rapports de forces. Si physiquement ils sentent qu’il y a de l’opposition, ils reculent. Ils ne croient pas en autre chose qu’au rapport de forces, et cela il faut que les démocrates le comprennent clairement et définitivement».
Et ca, il semble qu’une partie des tunisiens l’ait déjà compris!