Agitateur d’idées n’est pas penseur. Il y a loin de l’effervescence à la pensée structurée.
Il faut reconnaître qu’il fait recette. Tariq Ramadhan, lors de ses deux prestations, l’une à Beit EL Hikma et l’autre au Palais des congrès, s’est «produit» à guichet fermé. Un vent de Tariq-mania a soufflé sur la capitale. C’est vrai qu’il fait courir les foules. Mais il divise l’opinion. Tariq écrit mais il est peu lu. L’auteur produit des titres retentissants mais n’a réalisé aucun succès de librairie. Et il cause, mais on ne l’écoute pas.
Comment expliquer l’effet Tariq Ramadhan? C’est qu’il s’exhibe, et là, on vient pour le regarde. A la manière de Bernard Henri Lévy, ou de n’importe quel autre Alain Finkielkraut ou André Gluksman, les intellectuels sont une invention, de la société de consommation. Ce sont des «penseurs d’élevage», et au bout du compte, des gens de spectacle. Leurs interventions à la télé sont comme des matchs galas. Les intellectuels, dans la lignée du prêt-à-consommer, abondent dans le sens du prêt-à-penser. Charmeurs, ils produisent de la mousse, mais donc rien qu’en surface. En douce cependant, ils véhiculent des messages subliminaux, qu’ils susurrent sans les exprimer, et là, il peut y avoir danger.
Un diagnostic erroné
Tariq Ramadhan n’a pas passé un séjour tranquille parmi nous. Il s’est escrimé avec des penseurs tunisiens et a pu mesurer qu’il existe bien une école tunisienne qui constitue un «Index de savoir», expression d’un génie national, tunisien. Ses idées n’ont fait que ricocher sur cette armature de connaissances solides et bien charpentées. Ses idées? Elles ne révèlent aucune originalité mais cachent bien leur filiation d’origine.
Tariq Ramadhan ramène la situation actuelle tunisienne à une compétition politique entre laïcs et islamistes. En rappelant que laïcs et islamistes sont traversés par des courants de sensibilités diverses. Et d’ailleurs d’ajouter que dans les deux camps, il existe des gens qui ont collaboré avec la dictature. Et de préciser que dans les deux camps, on trouve des ennemis farouches de la démocratie. A l’écouter, il n’y aurait donc pas une ligne de démarcation franche et nette entre laïcs et islamistes.
Erreur, lui dira Olfa Youssef. Ils ne sont peut-être pas monocolores et monolithiques mais on cherche à les agglomérer en blocs belliqueux, c’est-à-dire prêts à s’affronter. Cette attitude électrisée viendrait de leur antagonisme idéologique et non de leur engagement républicain à défendre les libertés et la démocratie. Légitimer ces deux blocs, c’est transposer le modèle «démocratique» de l’Europe du Sud avec ce clivage gauche/droite. Toute cristallisation sous forme binaire, comme entre laïcs et islamistes ou entre gauche et droite, ne reflète pas la véritable physionomie politique de la base. Elle est très nuisible car elle perpétue un combat sans fin autour de deux socles idéologiques, au mépris des intérêts nationaux.
Si donc on veut camper la situation actuelle dans cette dualité entre laïcs et islamistes, on mettra le pays dans un état de grippage.
Mohamed Talbi a également porté un coup dur au message de son jeune compétiteur. Ce dernier est disciple de Mohamed Abdelwahab et non d’Ali Abderrazak. Le résultat des courses est que Tariq Ramadhan ne croit pas à la séparation entre Etat et religion. Cela veut bien dire qu’à ses propos de surface, Tariq penche pour un modèle d’Etat, précis. Il a dit ne pas parler ni de printemps ni de révolution, mais pourquoi n’a-t-il pas évoqué l’Etat de droit? La réponse est peut-être là.
Entre hégémonie et progrès
Le moteur des adeptes de l’Etat théocratique est l’hégémonie. C’était ce qui a fait vibrer la première école du nationalisme arabe. Ils cherchent à prendre une revanche et acquérir de l’hégémonie pour démolir l’Occident oppresseur. C’est ce qu’avait dit en substance Kadhafi à l’adresse de Bourguiba: disposez de mon chéquier, achetez des armes et combattons l’Occident. La réponse de Bourguiba fut cinglante, de raison. L’intérêt pour nous n’est pas de prendre une revanche sur l’Occident mais bien sur nous-mêmes. Il s’agit pour les Arabes de rattraper le cortège des pays développés et non de détruire quiconque. Ce projet est enthousiasmant et pacifique.
Curieusement, le crédo théocratique ressemble bien à un prolongement de la théorie des néoconservateurs. Ces derniers considèrent que l’islam est contraire à la démocratie et qu’il cherche à démolir l’ordre occidental. La preuve, l’attentat du 11 Septembre, entre autres. Si donc Tariq Ramadhan n’a pas évoqué l’Etat de droit, c’est qu’il se place sur une ligne de pensée qui appuierait, en douce, le modèle de République islamique. Et c’est peut-être ce qui justifie le réveil arabe, concept qu’il a utilisé dans le titre de son dernier ouvrage.
Les Tunisiens sont éveillés et sont même en état de veille, c’est sans doute pour cela qu’on cherche à les endormir avec des rêves de gloire qui ne sont, en réalité, que des choix hasardeux et aventuriers. Tariq Ramadhan attire par son crédit de séduction. Il déçoit par l’absence d’un capital de savoir. Ses idées ne sont pas structurées dans un schéma de pensée mais sont un meccano, qu’on démonte vite fait.