Qui douterait encore du rôle de la femme tunisienne dans l’édification du pays? L’histoire de la Tunisie a été jalonnée d’exploits, de lutte et de combats féminins, d’Elyssa à La Kahena jusqu’à Radhia Haddad, Nfissa Amira et Majida Boulila, en passant par Oroua la Kairouanaise et Aziza Othmana.
Elles sont jeunes, elles sont instruites, elles sont ambitieuses et elles croient en leur mission et leur rôle en tant qu’actrices de développement dans leur région. Ahlem et Najet sont deux femmes originaires de Gafsa, de 27 et 24 ans, qui ont regagné leur contrée après avoir réussi leurs diplômes d’études supérieures à Tunis.
Deux parcours universitaires différents et deux jeunes femmes qui se rejoignent sur l’amour de Gafsa et le devoir de participer à la bâtir et la développer.
Portraits.
Najet Salem : remettre à l’ère du temps le tissage de Gafsa
Najet Salem était encore étudiante en design lorsqu’elle a eu l’idée de participer à la revalorisation des composantes essentielles du tissage des klims et des mergoums de l’ancienne Capsa, différents aussi bien dans leurs matériaux que dans leurs concepts graphiques et leurs designs des ceux des autres régions de Tunisie. «Pour moi, il était capital de redonner aux produits locaux leurs valeurs et de remettre à l’ère du temps le savoir-faire dont se prévalait la région. Cela me faisait mal au cœur de voir qu’en les comparant avec les produits de Kairouan ou de Ouedhrif, on observe une grande différence pour ce qui est de la qualité. C’est ce qui explique mon intérêt pour le stage de formation ONUDI/BIT pour la création d’entreprises. C’est en étant mieux formée que je pourrais mieux réussir».
Car Gafsa, estime Najet, souffre du fait que les artisans ont perdu leur savoir-faire au fil des ans et que le mergoum authentique de la région a perdu de son lustre. Les tissages artisanaux de la région, avec leurs couleurs chatoyantes et leurs motifs géométriques rappelant tout l’art des Berbères et des Romains, se sont dilués dans ceux produits par des artisanes en mal de formation et d’encadrement.
«J’ai voulu œuvrer à la revalorisation de nos produits locaux riches mais sans occuper leur véritable place dans la panoplie des produits artisanaux et de terroir tunisiens», indique Najet. Cette jeune femme de 24 ans a lancé son projet alors qu’elle était encore étudiante en prenant contact avec des artisanes de la région qui travaillaient chez elles. Au début, elles étaient 15, dans un deuxième temps 25 et aujourd’hui une cinquantaine. Elles disposent des métiers à tisser chez elles; Najet dessine le design dans le respect des traditions de la région, décide des dimensions. Elle avance une partie de l’argent aux artisanes et les paye à la livraison.
Najet établit un planning selon lequel les artisanes doivent livrer leurs produits. Pour lancer son projet, elle n’a bénéficié d’aucune aide financière si ce n’est la formation. «Une consultante de l’ONUDI a été intéressée par mon profil, elle est venue il y a une année à l’Ecole et m’a proposé un coaching. J’avais à l’époque un atelier qui employait 25 artisanes à El Gtar». Intéressée par le produit, elle m’a proposé de suivre le stage de formation PDE.
Najet ambitionne de passer à un pallier supérieur pour ce qui est du volume de production d’autant plus qu’elle a remarqué un engouement notable de la part des clients tunisiens: «Je viens de participer à la foire du Kram et j’ai remarqué un réel intérêt pour les tissages traditionnels de Gafsa. J’ai également remarqué que le client veut intervenir dans le choix des couleurs et des mensurations, soit un produit personnalisé presque à la carte, ce que je m’efforce de faire maintenant lorsque je commande des klims ou des mergoums à mes artisanes. Lors de la Foire de l’artisanat qui a eu récemment lieu à Tunis, je dessinais sur mon PC et sur instructions des clients les designs souhaités par eux. Lorsqu’ils les voient sur ordinateur, ils passent commande tout de suite».
Pour Najet, plus que les procédures administratives et financières, c’est la difficulté d’être une femme qui ne facilite pas les choses pour elle. «Dans notre région, on ne peut concevoir de voir des femmes prendre leur destin en main, créer leurs propres projets et s’y investir totalement, c’est une remise en cause d’un ordre établi qui fait que c’est toujours le mâle de la maison qui assure ce rôle. Je pense qu’avec d’autres femmes, nous sommes en train de changer les donnes. Des encadrements et des formations tels que ceux dispensés par des agences onusiennes, nous aident à nous munir des outils nécessaires pour pouvoir avancer sur de bonnes bases. Il revient à nous de travailler sur les mentalités et la culture ambiante dans notre région».
Ahlem Barhoumi : Du Contrôle technique au village touristique
Diplôme de contrôle technique en main, Ahlem Barhoumi, qui a poursuivi ses études dans la capitale Tunis, a travaillé avec une plateforme industrielle italienne. Elle en assurait le suivi avec les sous-traitants. C’est ainsi que l’idée de créer son propre projet lui est venue. A Tunis, le marché était saturé alors que l’ouverture de la plateforme de Benetton à Gafsa, sa région natale, lui ouvrait de meilleures perspectives. Elle a présenté à la firme italienne, à la recherche de partenaires sur place, une demande comprenant son profil et a préparé une étude de faisabilité et de rentabilité du projet qu’elle a soumis à l’approbation de la BFPME (Banque de financement des petites et moyennes entreprises). Elle devait travailler pour le compte de Benetton qui lui donne la matière première et reprend le produit fini qu’il commercialise à l’international.
Le cahier des charges exigeant un local industriel répondant à des normes bien définies, Ahlem a dû attendre une année avant que le Pôle de compétitivité de Gafsa lui aménage le local. En décembre 2010, le soulèvement a fait que tout a été remis en cause: «Le local est là, l’accord préliminaire de la BFPME aussi mais le timing ne correspondait plus». Elle en a profité pour suivre une formation en entrepreneuriat à la pépinière de Gafsa coachée par les experts de l’ONUDI dans un projet conduit par le ministère de l’Emploi. Elle avait tout préparé, y compris la liste des ouvriers qualifiés exigés par le projet et dont le nombre s’élève à 120.
A 27 ans, Ahlem est trop jeune pour renoncer à ses rêves, elle laisse en veilleuse son idée de sous-traitant sous les ordres de Benetton et décide de s’engager dans le travail associatif. A partir de l’Association de l’initiative économique et sociale de Gafsa, elle lance des actions de sensibilisation pour lutter contre le chômage et échanger des expériences avec d’autres associations dans la région. Une cellule est créée avec pour mission de mettre en place un plan pour le développement socio-économique du gouvernorat. Elle travaille avec les autorités locales et les institutions publiques à trouver des solutions aux problèmes endémiques de la zone. «Il n’est plus admissible qu’un investisseur arrive pour trouver des infrastructures aussi désastreuses. Rien que pour le transport des marchandises, c’est la galère et puis il n’est pas dit que Gafsa doit être seulement une zone minière, nous ambitionnons en tant que jeunes d’en diversifier les activités et les produits». Et d’ailleurs, c’est sur cela que s’attèle Ahlem, laquelle, avec 5 autres jeunes diplômés de la région, compte créer un village touristique et culturel qui offre 400 postes d’emplois. Le village comprend un centre d’animation, un musée, un mini théâtre, une salle d’exposition pour les produits artisanaux, des ateliers et des boutiques. Le ministère du Tourisme a déjà accordé son accord de principe et compte soutenir l’initiative.
Ahlem, elle, continue à se former dans le cadre du programme des Nations unies. «Impliquer la jeunesse tunisienne pour atteindre les OMD (Objectifs du millénaire pour le développement)», un programme d’encouragement à l’entrepreneuriat privé initié par 5 agences des Nations unies sous la tutelle du ministère de l’Emploi et qui permet un encadrement personnalisé et une formation en HP afin d’être bien outillée pour s’attaquer au marché entrepreneurial.