Après trois jours de réflexion, d’intenses discussions des différentes motions, de confrontations des regards, d’analyses politiques limpides des rapports de forces, issus du scrutin du 23 octobre 2011 et de la définition des problèmes du pays, de leur hiérarchisation, et des mots qu’on emploie pour les traiter, les délégués du 3ème congrès du mouvement Ettajdid, qui s’est déroulé du 9 au 11 mars 2012, dans la banlieue sud de la capitale, ont décidé de ne pas se lier les mains et d’opter pour une direction collégiale. Afin, nous dit-on, de garder le cap. De mieux mixer les idées. De renforcer les rangs des militants. D’appliquer la stratégie d’Archimède qui se sert de tous les leviers disponibles. De raisonner en termes d’influences et de compromis. De résister aux débordements de l’idéologie. De pouvoir faire face, dans la cohésion, au galop des événements et aux impératifs cruciaux de l’étape allante de la révolution du 14 janvier 2011. De tout peser, tout balancer, tout maîtriser dans le jeu social du conflit et de la coopération en cours. D’incarner un mode de gestion consensuelle. D’éviter la désorientation de la base. D’ajuster l’exercice de l’action politique à l’ensemble des courants d’idées du mouvement. De réenfourcher, avec une ardeur renouvelée, les échéances électorales à venir.
Ainsi donc, si Ahmed Ibrahim, qui n’est pas sorti complètement groggy du dur combat politique consécutif à la révolution de la liberté et de la dignité, est désormais plébiscité président du mouvement Ettajdid, Boujemaâ Rmili (tendance feu Mohamed Harmel) est affublé du titre de secrétaire national général, Abdeljawad Jounaidi, un apparatchik notoire, de secrétaire national, chargé de la mobilisation, et Samir Bettaieb, qui a bénéficié tout au long du congrès de l’appui de Mahmoud Ben Romdhane, l’artisan de la plate-forme économique du parti, est consacré porte-parole d’Ettajdid. Dans une période édifiante et mortifiante des débordements de la transition démocratique en cours.
En fait, tout ce beau monde, présent au 3ème congrès du mouvement Ettajdid, a appelé la nouvelle direction à être attentive aux signes des temps, à aller au fond de tout, à demeurer vent debout contre l’obscurantisme, à faire le tour du propriétaire, pour voir, en quelque sorte, ce qui a marché ou pas, à hiérarchiser les objectifs, à évaluer l’expérience du Pôle Démocratique Moderniste (PDM) pendant la dernière consultation électorale, à occuper une niche stratégique commode, à former de nouvelles alliances sur les sujets les plus divers, à anticiper de la position de l’autre et à participer à la constitution d’un large front progressiste. Des libéraux à la gauche. Même la famille destourienne, nous dit-on, peut avoir sa place. Dans un grand parti de centre gauche. A condition d’assainir ses rangs.
D’ailleurs, le manifeste de Béji Caïd Essebsi, objet de controverses et d’âpres discussions parmi l’intelligentsia tunisienne depuis sa publication, trouve ici des échos favorables parmi les congressistes. Traumatisés, à l’image de larges franges des classes moyennes du pays, par la dislocation des disciplines, la dispersion des consciences, la persistance de la chienlit, pour paraphraser le Général De Gaulle, la montée des salafistes, le désarroi des universitaires, l’intrusion du religieux dans l’espace public, le fanatisme ambiant. Dans l’indifférence des autorités compétentes. Qui laissent chacun vivre à sa guise, suivant ses habitudes ou son caprice. Dans le royaume du vague et de l’à peu près. Au lieu d’apprendre au peuple à se contraindre et à prévoir. A s’affermir dans la frugalité et l’austérité, affirme un dirigeant d’Ettajdid.