Tout en reconnaissant la nécessité d’accompagner économiquement ces transitions, le Quai d’Orsay appelle à «rester vigilants par rapport à nos principes et aux valeurs qui ont porté les révolutions dans ces pays et veiller à ce qu’ils fondent l’action des gouvernements en place».
Une boule dans un jeu de quilles. C’est ce à quoi les responsables français paraissent tentés de comparer la révolution tunisienne et celles qui l’ont suivie, en Egypte et en Libye, lorsqu’ils analysent les répercussions de ces tsunamis politiques et stratégiques sur les relations des pays concernés avec leurs voisins et les partenaires lointains et, plus généralement, sur l’organisation et le fonctionnement des rapports internationaux.
Avant 2011, le monde était habitué depuis fort longtemps à vivre à l’ombre de la puissance tutélaire des Etats-Unis qui dominaient en usant, selon le cas, de leur «hard power» ou «soft power» pour «rétablir l’équilibre là où il est menacé», décrypte Caroline Dumas.
De son côté, l’Union européenne cherchait à élargir sa zone d’influence «en utilisant divers outils comme le dialogue 5+5, et le processus Euromed remplacé en 2008 par l’Union pour la Méditerranée (UPM)», poursuit cette chargée de mission au sein de la direction Afrique du Nord et Moyen-Orient, au ministère des Affaires étrangères et européennes français.
La représentante du Quai d’Orsay a livré sa radioscopie du monde postrévolutions arabes lors d’un colloque sur «les conséquences internationales du Printemps arabes; implications régionales et mondiales», organisé mardi 13 mars 2011 à Paris, par l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI).
Après le 14 janvier 2011, les révolutions arabes ont, d’abord, «bouleversé le paysage régional» et ouvert un «spectre très large de possibles allant de la stabilisation-démocratisation à la guerre civile», avance Caroline Dumas. Elles ont eu ensuite une nouvelle répartition des rôles dans le monde entre puissances occidentales. Ainsi, si l’on a vu les Etats-Unis choisir de «gérer de loin» ces développements –selon l’approche du «leading from behind»-, la France et le Royaume-Uni sont montés au créneau, notamment en Libye.
Mais d’une façon plus générale, «les pays occidentaux devraient voir leurs possibilités d’action plus restreintes du fait de l’émergence de nouveaux acteurs», constate Caroline Dumas. Les plus actifs parmi ces derniers étant la Turquie –qui «a l’opportunité d’asseoir un rôle régional, éventuellement en proposant son régime politique comme modèle»- et le Qatar –qui «cherche à s’affirmer avec une stratégie du portefeuille et des médias», en phase avec la ligne de conduite des Occidentaux.
Dans ce contexte, estime la chargée de mission du Quai d’Orsay, «la France et les autres pays occidentaux sont à l’épreuve de la cohérence. Nous avons soutenu les révolutions mais l’émergence de l’islamisme et sa victoire en Tunisie, en Egypte mais aussi en Libye nous pousse à nous poser des questions sur les Droits de l’Homme, sur les liens de ces pays avec les Occidentaux et leur positionnement sur des sujets importants comme le processus de paix avec Israël».
A ce sujet, Caroline Dumas s’attend à ce que, «sans remettre en question» ce processus, l’Egypte adopte «une attitude plus exigeante» à l’égard de l’Etat hébreu. Aussi, tout en reconnaissant la nécessité d’accompagner économiquement ces transitions, appelle-t-elle à «rester vigilants par rapport à nos principes et aux valeurs qui ont porté les révolutions dans ces pays et veiller à ce qu’ils fondent l’action des gouvernements en place».