La population mondiale est essentiellement constituée de jeunes, frappés de
plein fouet par
chômage. Et en 2009, ils étaient 91 millions de jeunes sans
emploi (soit 40% du chômage total dans le monde), selon les estimations du
Bureau international du travail (BIT).
Selon le Dr. Mohamed Lamine Dhaoui, directeur du service d’appui au secteur
privé, promotion de l’investissement et de la technologie à l’ONUDI à Vienne,
cité par le portail econostrum.info, le chômage des jeunes est critique voire
pire dans les pays arabes. Le taux moyen de chômage des jeunes est de l’ordre de
23% pour la majorité des pays arabes et il est d’environ 50% plus élevé pour les
femmes que les hommes. Il évalue la force de travail dans cette région à environ
104 millions d’emplois, mais atteindrait les 185 millions en 2020. D’où la
nécessité de créer pas moins de 80 millions d’emplois d’ici 2020.
Dr. Dhaoui souligne que deux faits caractérisent la situation mondiale actuelle
des jeunes. Tout d’abord la pauvreté au travail (pour le BIT, plus de 150
millions de jeunes travailleurs dans les pays en développement gagnent moins de
1,25 dollar par jour). Ensuite, il y a le caractère structurel du chômage.
“Ces chiffres sont inquiétants et parlants d’eux-mêmes, et si nous les ignorons,
ce sera à nos risques et périls pour nos pays. Pousser toute une génération aux
marges, en la laissant découragée et exclue, offrir des emplois de mauvaise
qualité voire pas du tout, crée une menace pour les économies et les sociétés
dans leur ensemble“, avertit-il.
L’éradication de la pauvreté est possible
Analysant les événements récents et en cours dans de nombreux pays d’Afrique du
Nord et Moyen-Orient, Dr. Dhaoui estime que “… ces mouvements sont le fait des
jeunes Arabes instruits qui réclament certes la démocratie, mais aussi des
emplois et une vie décente“. Il est d’accord sur le fait que “le secteur public
naturel et traditionnel employeur, dans les pays arabes, ne pourra pas absorber
tous les jeunes diplômés, que les tentatives de redéploiement des offres
d’emploi au niveau du secteur privé n’ont pas non plus porté leurs fruits et que
toutes les stratégies mises pour appuyer le développement du secteur privé n’ont
pas réussi à changer de manière significative la tendance“.
Alors, à partir de ce diagnostic, le directeur du service d’appui au secteur
privé à l’ONUDI pense que “la solution peut provenir en grande partie du
développement de la culture de l’entreprenariat et de la création de Micro et
PME (ou MPME).
Pour s’en convaincre, il rappelle la situation en Europe de l’Ouest dans les
années 80, période pendant laquelle la politique de développement des PME était
la panacée pour la création d’emplois au moment où les grandes entreprises
licenciaient et le secteur public était devenu hermétique à tout recrutement.
Aujourd’hui, les MPME représentent environ 99% du total des entreprises au sein
des pays de l’Union européenne, et fournissent plus de 65 millions d’emplois.
Idem pour le Japon où les PME fournissent 81% de l’emploi total.
De là, DR Dhaoui tire une première conclusion : “les MPME jouent un rôle
important dans l’éradication de la pauvreté et la création de la croissance dans
les pays en développement“, car elles “contribuent à la distribution équitable
des revenus, à la revitalisation de la compétitivité et à l’assimilation des
changements technologiques“.
Ceci étant, les MPME font face à un obstacle énorme: l’accès aux ressources et
au crédit. En effet, le pourcentage le plus élevé de la part des crédits aux PME
dans le total des crédits attribués dans la région MENA est de 24% au Maroc
contre 5% seulement en Egypte. Le manque d’accès au financement est l’un des
plus grands obstacles pour la création des MPME par les jeunes dans les pays
arabes.
Or, “l’importance des PME et la solution entreprenariat ne sont plus à
débattre“, étant donné que “plusieurs efforts ont été et continuent à être
déployés pour mettre en exergue cette solution…“.
Mais à l’analyse de la situation, tout porte à croire que l’approche n’est pas
la bonne. Oui, répond le directeur du service d’appui au secteur privé à
l’ONUDI, qui donne son explication. “Les programmes et politiques mis en œuvre
se sont concentrés sur des outils traditionnels d’assistance et
d’accompagnement. L’implication des acteurs financiers et non financiers s’est
faite de façon écartelée et isolée. Or, assistance technique et conseil sans
ressources financières pour la concrétisation réelle du projet d’entreprise
demeurent sans impact. L’assistance financière sans conseil est tout aussi
insuffisante“.
Aujourd’hui, il constate que “les banques de développement des PME commencent à
intégrer cette nouvelle réflexion“. Et de citer l’exemple de la Banque
Economique Turque (TEB) : “la TEB fournit des services non financiers à côté des
services financiers“, entre autres la mise en place un centre d’assistance pour
soutenir la compétitivité des MPME sur le marché local et à l’international, la
fourniture d’appuis et de conseils en matière de stratégie, marketing,
management, l’appui aux PME pour organiser les achats et assurer les liens avec
les grandes entreprises, la mise en place d’une assistance gratuite aux MPME par
téléphone 24/24 7/7…
Approche holistique et intégrée
Partant de là, Dr. Dhaoui propose d’adopter une approche holistique et intégrée
qui “vise à créer un environnement propice à la création et au développement des
MPME et l’amélioration de leur compétitivité aux niveaux national et
international“.
Cette approche couvre trois niveaux, à savoir:
– niveau macroéconomique : rendre le cadre macroéconomique et réglementaire
favorable et propice à la création, au développement et à l’amélioration de la
compétitivité des MPME au niveau national et surtout régional ;
– niveau institutionnel: renforcer les capacités des structures techniques
d’appui et de financement, en particulier celles appuyant l’entrepreneuriat et
la création d’emplois au niveau des régions défavorisées;
– niveau création des entreprises: soutenir le développement de la culture et
des compétences entrepreneuriales au niveau des universités et des centres de
formation professionnelle, en particulier dans les régions défavorisées.
Adoptée par l’ONUDI, “cette approche va au-delà de la fourniture des services
non-financiers“, souligne l’expert de l’ONUDI qui estime que “sans l’accès au
financement, tous les efforts déployés, sous forme de formation et de mise en
place de structures de soutien, seront vains quand il s’agit de création ou
d’expansion d’entreprise. L’accompagnement financier et non financier doit donc
se faire de manière parallèle, complémentaire et intégrée“.
Poursuivant son analyse de la situation de chômage des jeunes, en particulier,
Dr. Dhaoui souligne que “l’approche holistique et stratégique doit aussi se
baser et favoriser le développement des filières et des chaînes de valeur ayant
un grand potentiel de valeur ajoutée, d’emploi et d’exportation“. Et pour étayer
ses propos, il donne l’exemple de pays ayant pu développer des filières très
intensives en création d’emploi, notamment la Malaisie, où la filière huile de
palme fait travailler plus de 1,4 million et contribue pour plus de 57% des
revenus d’exportation de ce pays; la région Damiat en Egypte s’est spécialisée
dans la filière bois et ameublement qui fait travailler plus de 500.000
personnes (c’est la région la moins frappée par le chômage en Egypte); En Inde,
la région de Bangalore s’est spécialisée dans l’industrie des Technologies de
l’information et de la communication (TIC) qui emploie plus de 500.000
personnes…
Le directeur du service d’appui au secteur privé de l’ONUDI souligne qu’en
Tunisie “plusieurs produits et chaînes de valeurs peuvent être développés et
contribuer à moyen terme à une résorption du chômage au niveau des régions“.
L’approche japonaise “One village, one product“ voire “une région, un produit ou
une filière“ peut être une solution a moyen terme. Il va plus loin pour estimer
que “les efforts fournis pour le développement des filières huile d’olive et
dattes sont nécessaires mais pas suffisants“.
Il estime donc indispensable d’élaborer des études et des stratégies pour
développer des filières et des chaînes de valeur dans les différentes régions en
Tunisie. Parmi ces produits porteurs, il y a les pommes dans la région de
Kasserine, les huiles essentielles dans les régions de Nabeul et de Zaghouan,
les pistaches dans la région de Gafsa, et les chaînes de valeur c’est dans
l’agroalimentaires en général, les composantes automobiles, les technologies de
l’information et de la communication…
In fine, soutenant que la création et le développement des MPME, notamment
innovantes et compétitives, constituent la solution aux problèmes d’emploi des
jeunes diplômés dans les pays du sud de la Méditerranée, Dr. Dhaoui appelle à
l’instauration et à la mise en place d’un environnement favorable et propice à
l’esprit d’entreprise, au renforcement des compétences entrepreneuriales, à la
facilitation de la globalisation des PME. Le système bancaire doit développer et
mettre en place des mécanismes de financements appropries aux MPME et faciliter
leurs accès aux crédits. Les services non financiers doivent également être
généralisés et accessibles aux jeunes et futurs entrepreneurs dans les
différentes régions. La synergie et la coordination entre les différents acteurs
régionaux, nationaux et internationaux doivent être réellement explorées et mis
à profit. C’est dans cet environnement et climat des affaires propices que le
secteur privé tunisien et l’investisseur étranger peuvent investir, créer et
développer des entreprises et contribuer de manière significative dans la
valorisation des ressources, la création de l’emploi et de la croissance.