OPINION Tunisie – Ain Draham : Après la neige, les glissements de terrain


neige-18032012-art.jpgAin Draham, un mois après le froid glacial et la neige exceptionnelle qu’a
connus cette délégation, est loin de panser ses plaies. Elle est toujours une
zone sinistrée. Le principe de «la
catastrophe qui génère une autre» s’est
appliqué, de manière parfaite, à ce bien beau village et aux beaux sites ruraux
situés à ses environs.

La neige exceptionnelle de cet hiver a provoqué l’isolement de plusieurs
communautés rurales, des glissements de terrain spectaculaires et des
inondations des plaines de Bousalem et de Medjez El Bab par l’effet du dégel et
le gonflement des eaux des barrages, des crues de l’oued Medjerda certes mais
aussi des lâchers d’eau forcés des barrages de Ben Métir et de Bouhertma.

La neige et l’eau pluviale, deux ressources naturelles bénites que tout un
chacun souhaite en profiter et disposer à des fins soit touristiques ou
économiques sont, hélas, perçues, dans cette contrée montagneuse, comme de
véritables malédictions, voire comme des menaces sérieuses pour leur survie.

Il suffit de constater les dégâts pour s’en rendre compte. Sur la route Béja-Ain
Draham, une des voies les plus sûres actuellement, le spectacle est à la fois
beau et désolant. Beau au regard des chutes d’eau provenant des sources
montagneuses et de la générosité de la nature. Désolant au regard du reste.
Partout des éboulements. Partout, des blocs de rochers de plusieurs tonnes
bloquent en partie la route. Partout des routes éventrées. Partout des
glissements de terrain. Partout des arbres coupés jonchent la route. Et comme un
malheur n’arrive jamais seul, un brouillard envahissant comme une lave de volcan
était au rendez-vous, samedi 10 mars 2012, pour compliquer la vue et la
circulation. Heureusement, j’étais apparemment le seul fou à s’aventurer dans ce
paysage sinistré.

Les rares personnes rencontrées sont soit des bergères et des bergers
accompagnés de leurs maigres troupeaux d’ovins, soit des écoliers et écolières
encadrés par des mères militantes, soit des garde-forestiers. Avec le
brouillard, tous avaient le même profil, celui de silhouettes informes en
mouvement.

Quand on leur demande si on pouvait continuer à rouler, sans problèmes, sur
cette route, ces montagnards nous répondent par l’affirmative avec une grande
gentillesse, mais ne sourient jamais. L’air abattus, ils semblent avoir perdu le
sourire.

En poussant la discussion avec Mme Nawara Brinsi, habitante de l’agglomération
Tebeinia, on a senti une inquiétude profonde du projet du gouvernement de
transférer les communautés affectées par les glissements de terrain dans
d’autres zones plus sûres. C’est le cas des habitants des douars K’raymia et
H’saynia (5 km d’Ain Draham).

Elle estime que ce projet, pour peu qu’il se réalise, est une véritable
catastrophe humaine en ce sens où les centaines de personnes concernées sont
toutes âgées et risquent de tout perdre: vergers, bétail et lieux de mémoire.

Pour elle, un tel projet ne fera que reporter la solution des problèmes. Le plus
important, dit-elle, est de boiser les versants, d’entretenir les canalisations
d’évacuation des eaux pluviales des routes lesquelles, à défaut d’entretien,
sont obstruées, des décennies durant, et surtout de créer des sources de revenus
en développent sur ces mêmes versants des arbres fruitiers à haute valeur
marchande (avocatiers, noyers…).

Il faut reconnaître que cette approche développementaliste de cette grande lady
de Kroumirie est pleine de bon sens dans la mesure où les politiques de
villagisation (regroupements d’habitats disparates pour réduire les coûts…)
suivie, depuis l’indépendance, par Bourguiba, d’abord, avec ces fameux «Malagi»
(villages – abris) et ensuite, par Ben Ali avec ces agglomérations précaires
créées par le biais du Fonds 26-26, n’ont pas donné de résultats tangibles.

Ailleurs, cette même politique de villagisation a provoqué de graves famines en
Ethiopie en ce sens où, en poussant les gens à se regrouper en villages
artificiels sans âme, on les amène à abandonner leurs terres agricoles et à se
priver de leurs seules sources de subsistance.

C’est pour dire, in fine, que l’Etat tunisien doit cesser de recourir à ces
solutions de facilité qui lui permettent de se débarrasser, provisoirement (un
provisoire qui a duré 50 ans), des problèmes et de ne jamais œuvrer à les
résoudre radicalement. Il est également de son devoir, aussi, de faire preuve,
plus que jamais, de professionnalisme développemental et de s’employer à fixer
la terre avant de fixer les gens. Les gens de cette contrée, sédentarisés et
adossés à des sources de revenus stables et à une infrastructure fiable, ne
peuvent que l’aider à mener ce projet.