Tunisie – Consommation : Bras de fer ODC-bouchers pour une viande rouge «mauvaise pour la santé»


odc-21032012-art.jpgConvaincue plus que jamais que la hausse excessive des prix des viandes rouges
est l’œuvre de distributeurs «mafieux» et persuadée que le gouvernement ne fait
pas assez ou plutôt n’ose pas prendre les mesures qu’il faut pour maîtriser la
situation, l’Organisation de défense du consommateur
(ODC) a décidé d’assumer
ses responsabilités d’organisation citoyenne et d’appeler tous les Tunisiens à
boycotter les viandes rouges (achat et consommation), et ce les 23, 24 et 25
mars 2012. L’objectif, pour Lotfi Khaldi, président de l’ODC, est d’habituer les
consommateurs à réagir, collectivement, à la hausse excessive des prix et à
prendre conscience du fait qu’ils sont les maîtres absolus du marché et qu’ils
peuvent orienter les prix selon leur pouvoir d’achat. Selon l’ODC, de tels
boycotts ont permis dans d’autres pays à baisser les prix. Gros plan sur une
première qui pourrait faire tache d’huile.

Cette décision est justifiée, semble-il, par l’inefficacité des nombreuses
mesures prises par le gouvernement pour mettre la pression sur demande des
viandes rouges, et partant, pour faire baisser les prix.

Au nombre de celles-ci figurent: l’appel lancé aux producteurs, fournisseurs,
commerçants et prestataires par quatre départements ministériels (Santé,
Commerce, Agriculture, Intérieur) à «respecter les circuits de distribution
officiels» -l’appel lancé aux éleveurs pour qu’ils composent directement avec la
Société Ellouhoum
réhabilitée après la révolution en qualité d’organisme
régulateur-, l’abolition des droits de douane à l’importation de la viande de
mouton congelée, la réduction de 15% des droits de douane à l’importation de la
viande bovine, la suppression de la taxe prélevée au titre de la Caisse de
compensation.

Autres mesures: l’accord conclu avec la Chambre nationale des hyper et
supermarchés sur la fixation d’un prix acceptable pour la viande rouge (14
dinars le kilo de viande bovine de qualité désossée», l’accord avec le ministère
de l’Intérieur pour renforcer le contrôle sur les routes, du transport des
produits agricoles qui ne passent pas par les circuits de distribution
officiels, l’appel lancé aux services du ministère de la Justice pour accorder
un plus grand intérêt aux procès-verbaux dressés par les agents de contrôle
économique et accélérer la prise de mesures répressives à l’égard des
commerçants qui contreviennent à la loi.

En amont, le ministère du Commerce a décidé de renforcer le contrôle économique
par de nouveaux recrutements, la mise à la disposition des agents de contrôle
économique de voitures de fonction et la lutte contre l’importation et
l’exportation non réglementaire.

En dépit de cette mobilisation, les prix des viandes rouges ont poursuivi leur
trend haussier à la faveur d’«ententes structurées» entre bouchers. Au nom de la
sacrosainte libéralisation des prix en vertu de conventions conclues par la
Tunisie avec l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), la profession (Chambre
nationale des grossistes + syndicat des bouchers) voit d’un très mauvais œil
cette intervention de l’administration dans la fixation des prix et surtout la
concurrence déloyale que leur livre de plus en plus le repositionnement sur le
marché de la société Ellouhoum qui ambitionne, en plus, de devenir franchiseur
avec comme corollaire l’ouverture de points de vente dans tout le pays.

Face à une telle situation, le gouvernement privilégie la voie du dialogue avec
une certaine nuance, toutefois. Béchir Zaâfour, ministre du Commerce, estime que
«la fixation de prix consensuels constitue, certes, la solution idéale pour tout
le monde mais cela n’exclut pas en même temps la possibilité dont il dispose en
vertu de la loi pour imposer un prix plafond».

C’est ce que l’ODC reproche, justement, au gouvernement. Au cours d’une
conférence tenue pour donner d’amples éclairages sur la décision du boycott,
Mohamed Ben Mustapha Zarrouk, son p-dg, a estimé que le ministère du Commerce
aurait dû utiliser «le mécanisme de tarification» qu’autorise le texte régissant
le Conseil supérieur de la compétitivité.

M. Ben Mustapha Zarrouk va plus loin et fait assumer au gouvernement son
incapacité criarde d’«assainir les circuits de distributeurs monopolisés par des
spéculateurs et des intrus de tout bord». Il a appuyé ses dires par un chiffre
terrible: «60% des 2,6 millions de tonnes de légumes et fruits consommés,
annuellement, sont acheminés par des circuits de distribution irréguliers, voire
mafieux et non réglementaires».

Gouvernement et ODC sont, néanmoins, d’accord sur l’impératif de restructurer,
sur des bases solides et pérennes, la filière des viandes rouges. L’accent sera
mis, pour l’essentiel, sur la moralisation de la filière (lutte contre les
ententes de bouchers), la création de valeur locale en évitant au maximum le
recours à l’importation de la viande congelée, la mise à niveau de
l’infrastructure et l’enclenchement d’un processus de qualité devant aboutir à
la conformité aux standards internationaux.

Quant au bras de fer ODC-bouchers, il semble que l’ODC ait une grande chance de
l’emporter. Puisque, la recherche vient de voter pour elle. Concomitamment, à
son appel au boycott de la viande rouge, l’institution américaine, Harvard
School of Public Health, a publié, ces jours-ci, sur le Net une étude qui a
révélé que «manger n’importe quel type de viande rouge augmente de manière
significative le risque de mort prématurée».

Cette étude, qui a suivi 110.000 adultes pendant 20 ans, a montré que «ne plus
manger du tout de viande rouge, associée, déjà depuis longtemps, à un risque
accru de cancer, de diabète et de maladies cardiovasculaires, peut rallonger
l’espérance de vie».

Il s’agit de toute évidence d’une bonne nouvelle pour l’ODC qui peut faire des
révélations de cette étude son cheval de bataille et un argumentaire de premier
choix aux fins de baisser les prix et de mettre la pression sur les bouchers.