Le système financier, frein ou accélérateur d’affaires? La question n’est pas à considérer dans un cadre isolé ou une hypothèse de travail. Elle fait suite à un cycle prospectif initié par le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) et qui se poursuit d’un président l’autre.
Succédant à Slim Ben Ammar, la nouvelle élue, Wafa Sayadi Makhlouf continue sur la même lancée et explore encore plus avant les possibilités de lisser les relations entre le système financier et le monde de l’entreprise.
Le Centre se veut encore plus fidèle à sa vocation de think tank et de force de propositions. Cette démarche s’inscrit dans une logique gagnant-gagnant, ainsi que l’a assuré Wafa Sayadi Makhlouf, dans son speech de bienvenue. D’une action l’autre, le Centre formalise des propositions concrètes, originales et tout à fait recevables. Toutefois, persiste toujours le même problème, celui de faire aboutir ces propositions. Le Centre saura-t-il s’en donner les moyens, à l’avenir?
Entre pragmatisme et visibilité
Pour lancer le débat, lors de la réunion de ce samedi 17 mars 2012, Mohamed Hachicha, membre du Conseil du Centre, exposera les résultats d’une enquête qu’il a supervisées. Il a répertorié les points de discorde entre le système financier et les entreprises en focalisant sur les problèmes rencontrés principalement par les jeunes promoteurs de nouveaux projets. Bien entendu l’auteur est revenu sur les questions que l’on connaît. A savoir que les banques restent les interlocuteurs dominants. Et cela n’est pas un trait d’exception tunisienne. Les banques financent 75% des investissements en UE, environnement d’affaires, proche du nôtre. Cette proportion descend, toutefois, à 50% au Japon. Elle est à peine de 20% aux USA. Mais, c’est connu, l’univers anglo-saxon favorise davantage le financement direct via le marché boursier et le venture capital.
Et cette philosophie de l’Equity (capital risque) fait terriblement défaut chez nous. Mohamed Hachicha reprendra à son compte le reproche traditionnel fait aux SICAR qui continuent à se comporter en établissements de crédit, en exigeant des garanties pour couvrir leurs engagements pourtant souscrits sous forme de participation au capital.
Il y a aussi tous les autres aspects de due diligence. Les délais de réponse, encore longs et par-dessus tout extensibles. Le banquier peut s’arranger pour exiger un ultime document auquel le promoteur n’a pas songé et c’est ressenti comme un subterfuge pour reculer la date limite de réponse.
L’auteur a tout repris des «misères» des jeunes promoteurs dans leurs relations avec les banquiers qu’on qualifie de parcours du combattant.
Un aspect a toutefois été traité avec un éclairage nouveau et qui peut être utile et exploitable. Quelle importance accorder au «business-plan». L’auteur dira que tous les business-plan se ressemblent et appelle l’attention des jeunes promoteurs sur la nécessité d’individualiser ce document qui ne doit pas être considéré, prévient-il, comme un simple document administratif. La décision du banquier se fonde essentiellement sur ce document. Il doit donc refléter les spécificités du projet. C’est lui qui doit notamment faire apparaître les besoins en fonds de roulement et le cash flow réel de l’affaire. Ces deux éléments conditionnent les relations futures avec le banquier parce qu’elles déterminent ses besoins d’exploitation et sa solvabilité, c’est-à -dire sa capacité de remboursement. Faut-il faire certifier le business-plan à l’avenir, pour éviter tous les couacs qui pèsent sur le démarrage des projets et par-delà leur aboutissement, leurs équilibres et leur pérennité.
Un observatoire pour traiter des réclamations
L’idée de certification du business-plan a été appréciée de Jalel Béji, directeur à la Banque centrale de Tunisie et responsable de l’Observatoire qui traite des réclamations des jeunes promoteurs dans leurs relations avec les banquiers. L’idée était fortement appuyée par Khaled Azeiz, membre du CJD et heureux promoteur d’un projet de cristallerie qui vient de boucler son schéma de financement et qui a parlé de toutes les «astuces» dont il faut user pour décrocher un accord de financement.
Le dialogue avec les banquiers est un domaine d’expertise et il nécessite beaucoup d’efforts et de compréhension. Boucler un tour de table, c’est-à -dire l’ensemble des souscriptions au capital, négocier des crédits en pool, réaliser un schéma de financement, cela demande un degré d’ouverture et une part de relationnel dont le promoteur doit savoir s’entourer pour aller jusqu’au démarrage du projet sans trop de dégâts.
Les termes de «concordat» de gré à gré
La négociation avec le banquier et les financiers, de manière générale, est une nécessité de chaque étape de la vie de l’entreprise, et Hosni Ghali, ancien membre et ancien vice-président du CJD, y est revenu, avec une approche bien packagée. Il focalisera sur les moments difficiles, où se multiplient les couacs entre clients et banquiers. Dans ces situations difficiles, le banquier voit ses crédits immobilisés et c’est dommage, dira Hosni Ghali.
Quant à l’entreprise, elle voit tout simplement son exploitation compromise, et c’est bien regrettable soutient-il. Le tout est de trouver, à chaque situation précise, les termes appropriés pour un concordat qui tienne compte des intérêts du banquier et de l’entreprise. Cela demande de l’audace et de l’inventivité.
Hosni Ghali se plaint du resserrement du crédit en situation de crise ou de conjoncture difficile. Il se plaint également des conditions de consolidation des crédits, opération qui précède la reprise de relation entre le banquier et son client.
Ses observations sur les possibilités d’éviter aux entreprises le cumul des intérêts sont tout à fait soutenables. Les consolidations d’arriérés d’impayés ou de crédits en souffrance peuvent multiplier par deux ou par trois la créance initiale. Cela finit par plomber la solvabilité de l’entreprise et par peser sur ses possibilités de développement quand ça n’hypothèque pas sa pérennité. La sortie du crédit devient hautement improbable quand la créance est «indument» gonflée par l’incorporation des intérêts. Les concordats peuvent être assouplis si les banquiers y mettent de la bonne volonté.
Défiscaliser les mécanismes de venture capital
Mehdi Khemiri, ex-patron de TopNet, converti depuis deux ans dans le venture capital parlera, avec force persuasion de la phase délicate de la négociation des crédits en phase de création, cette «Death valley» où succombent 50% des projets, au moins, en moyenne mondiale. C’est une phase très risquée, insistera-t-il. Par conséquent, elle est peu prisée des banquiers, qui sont, par nature, «risk adverse». Cette phase précise correspond à une approche financière mieux maîtrisée des fonds d’amorçage et autres fonds de développement. Elle excède le périmètre professionnel des banquiers, chose bien établie et acceptée de tous.
A ce stade, on ne sait trop si le combat pour amener les banquiers à assouplir leur comportement est un combat payant. Là -dessus, il préconise un ensemble d’incitations fiscales de sorte à encourager les fonds d’investissements à transposer des instruments qui existent ailleurs, tel les stocks options, entre autres, et qui sont de nature à débloquer la situation de manière significative, déchargeant les banquiers et répondant aux sollicitations des jeunes promoteurs.
Le Marché Alternatif
Les propositions de Mehdi Khemiri, tout en étant fort à propos, car modernes et rentables, se trouvaient en ligne avec l’approche de Abderraouf Boudabous, directeur de la promotion de la Bourse de Tunis et qui présentait la voie de recours qu’est l’introduction sur le Marché Alternatif de la Bourse, compartiment du marché, taillé sur mesure pour les exigences du venture capital.
Toutes les propositions ainsi exprimées ce jour méritent d’être relayées par une action de lobbying auprès des pouvoirs publics. L’idée d’un “Livre blanc“ a germé. Et ce serait bien si le Centre édite un tel document, cela appuierait énormément ses revendications. L’économie tunisienne est en pleine renaissance et ce livre blanc arriverait à point nommé.
L’Administration s’est toujours montrée volontariste. On se souvient qu’elle a posé le cadre juridique de plusieurs métiers de la finance, tel le leasing par exemple, avant même que les métiers se soient installés sur la place. Le travail est déjà à moitié mâché pour le CJD. Il n’y a qu’à monter au filet. Il va sans dire, mais il va encore mieux en le disant, nous, la presse, nous les appuierons dans leur tâche.