«J’ai été invité, j’ai participé, j’ai rencontré, j’ai présidé, j’ai discuté, j’ai, j’ai, j’ai…» Rafik Abdessalem, chef de la diplomatie tunisienne se fond totalement dans l’Etat ou plutôt se confond avec l’Etat. L’Etat c’est lui, lui, c’est l’Etat. En tout cas, c’est l’impression que donne, à sa manière de s’exprimer, le ministre des Affaires étrangères lors de la conférence de presse organisée vendredi 23 mars au Premier ministère.
M. Abdessalem ne paraissait pas non plus déstabilisé par nombre de questions embarrassantes posées par les journalistes présents. Il répondait, noyait le poisson ou répondait à côté, pas de point mort avec lui ou de silence embarrassé. «Notre politique étrangère est importante, a-t-il attaqué, parce que d’elle dépendent nos intérêts politiques et économique, et nous voulons préserver et soigner nos relations avec nos voisins directs maghrébins, et avec les pays méditerranéens, européens et arabes. La Tunisie est «multidimensionnelle», elle le restera. Nos relations avec nos voisins maghrébins sont stratégiques et importantes en matière sécuritaire, d’où l’importance d’accords bien étudiés concernant la protection des frontières».
La Tunisie est soucieuse de consolider ses relations avec ses voisins immédiats et tient à concrétiser le vœu pieux du Maghreb arabe: «Nous comptons organiser à Tunis un sommet maghrébin lors de la deuxième moitié de l’année en cours».
Le ministre n’a pas manqué de préciser que la politique étrangère doit refléter la révolution, ses ambitions et ses engagements en axant sur l’importance de la géographie politique. «L’impact de la révolution tunisienne sur les pays proches le prouve. C’est ce qui explique l’intérêt que nous accordons à la Syrie. Ce qui se passe dans ce pays nous concerne à plus d’un titre, y compris sur le plan sécuritaire… Nous avons un engagement moral envers le peuple syrien, c’est pour cela que nous avons organisé le “Congrès des amis de la Syrie“, nous sommes une révolution, et il était normal d’être solidaire avec les aspirations de son peuple pour la démocratie et la justice».
La diplomatie économique est aujourd’hui indispensable à plus d’un titre et le ministre des Affaires étrangères lui accorde un grand intérêt. «Nous sommes très actifs à ce niveau, il ne s’agit plus d’assurer le rôle de PR, mais de mettre en place des compétences économiques capables de dénicher les opportunités d’investissement, de développement et d’échanges commerciaux entre notre pays et les autres».
Au fait de considérer la Tunisie comme une révolution «ce qui justifierait le soutien accordé à la révolution syrienne», à la qualité de la représentativité du pays à l’étranger qui pencherait plus vers la valorisation d’un parti que d’un pays et au rapprochement diplomatique avec des régimes dictatoriaux comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, le ministre a riposté: «Je ne vois pas de contradiction entre révolution et Etat, nous sommes un Etat issu d’une révolution, nous sommes un gouvernement de révolution. Nous avons des traditions et des institutions d’Etat mais nous vivons également toutes les agitations correspondant à une période postrévolutionnaire. En matière de politique, il ne faut pas être utopique, nos relations avec les pays arabes sont excellentes y compris avec ceux du Golfe. Avec ces pays, il existe d’importants enjeux économiques et des investissements dont la Tunisie a besoin pour satisfaire les besoins des jeunes générations». Ce qui veut dire que le fait que ces pays soient dictatoriaux ou pas, est le dernier des soucis du gouvernement tunisien qui a besoin de leurs capitaux, pour résister et se maintenir, le reste est accessoire. La Syrie n’est pas une monarchie du Golfe…
Au national et à l’international, le ministre estime qu’il représente l’Etat tunisien et ses intérêts, mais «j’estime être en droit d’exprimer clairement mon opinion à propos de faits ayant lieu dans mon pays. Il est évident que toute démocratie doit respecter les minorités pour ne pas tomber dans la dictature de la majorité, mais nous avons des fois le sentiment que nous vivons, nous, la dictature des minorités anarchiques qui veulent mettre le gouvernement en difficulté. Je ne parle nullement de conspiration mais de faits concrets. Depuis la composition du gouvernement, on n’a pas cessé de lui mettre des bâtons dans les roues. On n’a pas cessé de nous demander des comptes sur nos réalisations alors que la conjoncture en elle-même est exceptionnelle et qu’il faut de la patience».
Parlant de l’introduction de la chariaâ dans la Constitution, le ministre a appuyé l’orientation consensuelle de l’élaboration des grandes lignes. «Nous sommes d’accord sur les grands principes, nous sommes un pays arabo-musulman ouvert sur le monde et nos points forts sont notre capacité à concilier entre notre religion et nos origines et notre ouverture sur les autres, notre modernisme, nos aspirations démocratiques et le respect des droits de l’homme».
Le ministère désignera ses diplomates en se basant sur les critères de crédibilité, de compétences et d’intégrité, a assuré M. Abdessalem sans oublier «certaines nominations politiques, comme il est d’usage dans tous les pays du monde». Ce monde avec lequel notre chef de la diplomatie veut avoir les meilleures relations et particulièrement l’Europe, partenaire classique, et les Etats-Unis, allié depuis toujours? Du moment?
Au sortir de la conférence de presse qui a duré près d’une heure, on réalise que, voulant de manière consciente ou involontaire nous noyer dans les généralités, le ministre a vaguement répondu aux questions qui nous préoccupaient. Du moins, nous, nous avons compris.