Réuni, jeudi 22 mars 2012, le personnel du ministère des Affaires étrangères menace de faire grève, soulignant le «refus du ministre de recevoir les membres du syndicat pour étudier des questions concernant leurs situations». Au centre des débats essentiellement, et en fait, un enjeu de taille: la désignation des diplomates dans les différentes représentations tunisiennes à l’étranger. Celle-ci devant intervenir en mai-juin 2012. Un sujet qui mobilise plus d’un diplomate. Analyse.
Assemblée générale, jeudi mars 2012, du personnel du ministère des Affaires étrangères, au siège de ce département. Cette assemblée a été organisée à l’appel du syndicat de base de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail) en raison du «refus, selon ce syndicat, du ministre de recevoir ses membres en vue de discuter notamment des prochaines nominations des employés du ministère dans des postes à l’étranger». Des voix se sont élevées, au cours de cette réunion, pour appeler à une grève début avril 2012.
Vendredi 24 mars 2012, Rafik Abdessalem, ministre des Affaires étrangères, dément avoir refusé de recevoir les membres du syndicat. Interrogé, à ce propos, dans une conférence de presse qu’il a donnée, à la présidence du gouvernement (Premier ministère), il a nié avoir refusé de recevoir les membres du syndicat de base de son département.
Prendre la poudre d’escampette en signe de mécontentement
Il a souligné, dans le même ordre d’idées, qu’il avait signifié au syndicat qu’il ne pouvait se réunir avec ses membres «aux heures de travail» et que le sujet était loin d’être tabou: le ministère ayant accepté de créer des commissions en vue d’étudier les nominations dans les représentations tunisiennes à l’étranger.
Il y avait là de quoi normalement désamorcer le conflit, a priori. Loin s’en faut lorsqu’on ne connaît pas l’enjeu que représentent ces nominations dans les carrières des diplomates.
Il semble de ce fait que les prochains jours doivent connaître des rebondissements à ne plus finir, chaque partie fourbissant ses armes à l’approche des mois de mai-juin au cours desquels les nominations sont annoncées. Celles-ci étaient longtemps annoncées dans la discrétion après qu’elles sont passées par le moule de la présidence de la République, premier et dernier recours.
Ces annonces étaient toujours accompagnées d’une contestation de nombre de diplomates. Les habitués des arcanes de la diplomatie tunisienne ont certainement encore souvenir, ces dernières années, de ce grand parking du département des Affaires étrangères qui se vidait de ses voitures en signe de mécontentement des diplomates écartés de la liste des heureux élus; les diplomates prenant, en signe de mécontentement, pour ainsi dire, la poudre d’escampette et quelquefois pour quelques jours.
Ces nominations, tout le monde en veut aux Affaires étrangères. De l’agent placé au bas de la hiérarchie au conseiller des Affaires étrangères, ministre plénipotentiaire, ou encore directeur général ayant représenté le pays au plus niveau.
Servir son pays dans les instances internationales, acquérir de nouvelles compétences, aller à la rencontre de nouvelles expériences, gagner un salaire confortable, possibilité de ramener une belle voiture et permettre à ses enfants de poursuivre des études à l’étranger… on comprend bien les motivations –du reste légitimes- des uns et des autres. Qui souhaitent pouvoir bénéficier de plus de «séjours possibles» à l’étranger.
Or, sur ce terrain, les choses ne se sont que rarement passées selon le bon vouloir des fonctionnaires du ministère. Aussi bien sous l’ère de Bourguiba que de Ben Ali, des diplomates ont souffert d’une politique de désignation qui était loin d’être transparente.
Ressusciter des pratiques anciennes?
Il arrivait que certains soient écartés pour donner le poste à un autre qui avait la faveur du Palais, de la «première dame» ou du ministre. Il arrivait ainsi qu’un diplomate reste plus de cinq ans à attendre sa nomination alors qu’un autre soit nommé une année seulement, voire quelques mois, après qu’il a regagné Tunis.
Un certain temps, le régionalisme aurait joué, dans ce domaine, un rôle déterminant. Les diplomates ressortissants d’une commune du sud tunisien et d’une autre située dans la banlieue nord de Tunisie auraient été des privilégiés.
Plus grave sans doute: à un certain moment, notamment sous le président déchu Ben Ali, la diplomatie a été inondée d’anciens hauts fonctionnaires, dont notamment d’anciens ministres, de fonctionnaires de police ou encore venant du défunt RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique) voire de députés et de Conseillers, venus, donc, des rangs du Parlement.
C’est dire le legs qui échoit au gouvernement de la Troïka! Et c’est ce scénario que redoutent aujourd’hui les membres du syndicat de base de l’UGTT du département des Affaires étrangères. Ils craignent que le gouvernement actuel cherche à placer des cadres de la Troïka partageant le gâteau de la diplomatie. Le gouvernement pourrait être tenté si l’on ne vient pas à l’arrêter, selon certains observateurs.
Et que soient ressuscitées des pratiques anciennes. Que de diplomates ont été en effet dans le passé rappelés pour donner le poste à un proche. Comme il est advenu qu’un ministre des Affaires étrangères rappelle un ambassadeur ou un consul parce que sa tête ne lui revenait pas. Les diplomates tunisiens ont sans doute encore le souvenir de cet ancien ambassadeur dans une grande capitale arabe qui a été limogé quelques jours après la visite du chef du département dans cette capitale parce que considéré pas assez vigoureux. Ce diplomate a «moisi» pendant dans le cabinet du ministre pendant des années… à ne rien faire.
Le syndicat de base sait pertinemment que la bataille n’est pas gagnée d’avance. Et qu’il faudra accepter notamment certaines nominations «politiques»: certaines capitales ont pris l’habitude de ne recevoir que d’anciens ministres tunisiens comme ambassadeurs. Le syndicat de base, toutefois, compte les limiter en fixant un quota. Et donner un signal fort quant aux «abus» possibles. Bien plus, il compte mobiliser ces troupes sur un sujet qui motive plus d’un. D’autant plus qu’il s’agit d’une question de principe: les diplomates sont là pour servir l’Etat et non des intérêts politiques.
A bon entendeur salut!