«Nous avons besoin d’un leader» «Hachetna bzaïm», s’est écrié le public réuni au Palais des sports à Monastir, samedi 24 mars lors de la manifestation organisée par la Jeunesse de la Pensée bourguibienne baptisée «L’appel de la patrie». Des voix ont hélé le nom de Bourguiba avant de crier celui de Béji citant Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre, et rappelant que pour mener une bataille, quelle qu’elle soit, il faut un meneur, un leader, un symbole.
La Tunisie, les Tunisiens sont en mal de symboles. En témoigne l’engouement suscité par l’acte de bravoure de Khaoula Rachidi qui a voulu empêcher le salafiste de troquer à La Manouba le drapeau national par celui Noir et blanc des Salafistes. Pourtant, quoi de plus normal que de défendre son drapeau? Sous d’autres cieux, ce geste aurait été considéré comme un acte civique et patriotique tout à fait naturel.
Toute l’histoire de l’humanité a été jonchée de leaders, des visionnaires qui synthétisent les ambitions et les vœux des peuples et les expriment dans leurs discours leur redonnant espoirs et leur offrant du rêve.
Qu’il s’agisse de politique ou de management, un bon leader argumente et convainc en faisant entendre la voix de la raison, en rassurant, en apaisant et en tranquillisant, en parlant au cœur et en suscitant des émotions. Et c’est cela qui a été vécu samedi dernier à Monastir, lors d’une manifestation où la dimension émotionnelle a été très forte. BCE –comme certains l’appellent affectueusement- a été perçu comme un sauveur parce qu’il lie deux époques historiquement différentes de la Tunisie mais dans des contextes de construction et reconstruction de l’Etat. Sa légitimité historique, sa sagesse politique, le privilège de l’âge et de l’expérience aidant, tout cela a rassemblé autour de lui des partis politiques et des associations dont les back grounds idéologiques sont différents mais qui se rejoignent sur les grandes lignes: «Une Tunisie ancrée dans sa civilisation arabo-musulmane, démocratique, pluraliste, moderne et ouverte sur son environnement méditerranéen, arabe et européen».
Béji Caid Essebsi a cité le verset “wa kol ja’a al Hak wa zahouka al batila, inna al batila kana zahouka” pour entamer son discours. Nous venons tout juste d’entendre dire que la Tunisie vient d’être ouverte, tant mieux… La révolution a été menée par des jeunes sans back grounds idéologiques et sans influences étrangères. «Nous avons réalisé des élections libres. Nous sommes à la moitié du chemin mais ne perdons pas de vue que l’objectif est la concrétisation de la démocratie et de la gouvernance démocratique. Pour ce, il faut fixer au plus vite et comme promis auparavant, la date des prochaines élections et honorer les engagements pris par les partis aujourd’hui au pouvoir, à leur tête Ennahdha, de préserver le modèle tunisien. Il faut également rassembler tous ces partis politiques disséminés et disparates et les organisations de la société civile au sein d’un seul mouvement qui offrira l’alternative aux Tunisiens et rendra plus aisée la succession des pouvoirs entre forces de même importance».
BCE a appelé à l’élargissement du gouvernement et la création d’un parti centriste qui réunit, autour d’une même vision de la Tunisie, de larges pans de la population. «Il faut rassembler et unir le peuple, chacun doit être un acteur de la vie politique, personne ne doit être exclu».
L’ancien Premier ministre, qui sacre les discours de ceux qui l’ont précédé sur la tribune, Kamel Morjane, Sahbi El Basli, Nejib Echabbi et Boujeamaâ Rmili, rappelle qu’il faut ratisser large pour avoir une solide assise populaire sur laquelle pourrait s’adosser le grand parti centriste ambitionné par l’ensemble des acteurs politiques de l’opposition. «Notre destin n’est pas de choisir entre Ennahdha et les destouriens, il y a une troisième fois et il faut la creuser et la trouver», rétorque pour sa part Emna Mnif, présidente de Kolna Tounes, qui a annulé son intervention «parce que pour moi, il ne s’agit pas de faire marche arrière en prenant les mêmes et en recommençant».
Il n’est pas non plus question d’exclure qui que ce soit, en tout cas ceux qui ne se sont pas salis les mains, et c’est ce qui explique la présence de militants de la première heure comme Néjib Echebbi ou Boujemaa Rmili, nouvel homme fort du mouvement Ettajdid qui n’a pas manqué de rappeler l’héritage politique et idéologique bourguibien. Les divergences, qui existent entre différentes parties prenantes, n’excluent en rien le fait que l’on doive arriver à un consensus sur les fondamentaux et surtout s’accorder autour d’un leader qui peut offrir la meilleure des alternatives en laissant de côté égo et petits intérêts.
La rencontre de Monastir aurait-elle poussé le gouvernement à annoncer sa feuille de route politique, à commencer par fixer la date des prochaines élections pour le 20 mars 2013?
Possible. La démocratie est aussi un jeu d’équilibre des forces politiques en place, et si BCE avoue difficile le passage de la dictature aux valeurs républicaines de justice, d’égalité et de pluralisme, reste que la Tunisie est à la moitié du chemin pour réussir sa transition.
Ceci étant, il faudrait, comme l’exprime sur un ton exaspéré, l’ancien Premier ministre, éviter la manie de critiquer systématiquement le gouvernement précédent en travaillant plus et en étant plus efficients pour: «ne pas perdre son énergie et son temps en jérémiades inutiles et surtout ne pas céder un triste héritage au successeur».