C’est nécessaire de garantir la transparence des pratiques administratives pour assainir l’ambiance des affaires. C’est aussi une exigence de la transition démocratique, pour assouvir ce sentiment de curiosité sur les mauvaises pratiques et des dégâts commis au nom de la raison d’Etat. Il faut se donner un firewall contre la corruption, à l’avenir. Peut-on mettre un frein au pouvoir discrétionnaire de l’administration autrement que par la loi?
Parmi les chantiers clés de la transition figure en première ligne celui de la transparence des pratiques de l’administration. Etant le premier centre de pouvoir, elle doit informer l’opinion publique de ses faits et actes. Dans ce sillage, mercredi 28 mars 2012, à l’initiative commune de l’Union européenne, de la Banque mondiale et du gouvernement tunisien, un séminaire a été organisé à Tunis à l’effet de traiter de la question du «gouvernement ouvert et de l’accès à l’information».
Dans un premier jet, huit départements ministériels seront remis à niveau en matière de transparence. Ce plan de réforme nécessitera neuf mois et s’achèvera presque avec le mandat du gouvernement actuel. La décision avait été prise déjà par le gouvernement de Béji Caid Essebsi et un décret du 26 mai 2011 est à l’origine de cette vaste opération -définitive, nous l’espérons- de salubrité administrative qui doit déboucher sur l’adoption des bonnes pratiques en matière d’information des citoyens. Mais, compte tenu des dépassements indescriptibles et des crimes économiques commis par les membres du clan B-A-T, on se demande si le décret lèvera le secret sur cette partie sombre de notre histoire récente.
Par ailleurs, l’on se demande dans quelle mesure l’administration, à l’avenir, ne pourra plus se réfugier derrière cette sempiternelle question de la raison d’Etat.
La transparence, un «index d’hygiène démocratique»
A l’évidence, c’est dans les pays anglo-saxons que la transparence est la plus avancée. L’administration américaine dure le temps du mandat présidentiel. Quand le bureau ovale est libéré, le pays donne le «quitus» ou poursuit ses ex-dirigeants, pour d’éventuels dépassements ou autres malversations, enfin toutes les pratiques amorales, donc répréhensibles. Mais en Amérique les citoyens agissent en contribuables et exercent un droit de regard semblable à celui des actionnaires dans une assemblée générale ou un conseil d’administration, de société.
Plus proche de nous en Europe et précisément dans les pays latins et chez nous, le contrat social entre le peuple et les dirigeants politiques est moins incisif. Le mandat politique donné aux représentants du peuple, les constituants à l’heure actuelle et demain, les députés, ne comporte pas cet aspect d’investigation. Nos mœurs politiques sont moins raides que dans les pays anglo-saxons. Nos dépassements, aussi, il faut le reconnaître. L’animosité du pouvoir politique, chez nous du temps de la dictature, contre toute revendication de transparence, a bien été à l’origine de la corruption à cette vaste échelle que nous soupçonnons sans en arriver à en déterminer le coût. La collusion entre le pouvoir et les forces de l’argent ont atteint des proportions de République bananière. Cette gangrène a affecté des rouages sensibles dans les circuits de décision et a infecté les mœurs administratives.
On nous promet que dans neuf mois -Inchallah!- les citoyens pourront exiger, par la force de la loi, de s’informer de l’activité des pouvoirs publics. Nous ne demandons qu’à voir. Il faut rappeler que le pouvoir discrétionnaire de l’administration s’est tellement atrophié qu’il est nécessaire de légiférer pour changer les pratiques et les mentalités.
A l’heure actuelle, le personnel politique répète à satiété sa volonté de respecter le droit d’investigation du citoyen. Mais s’agissant d’une liberté publique, le mieux est de la concrétiser par des textes de loi. La loi est nécessaire car elle seule permettra au citoyen, et nous ajouterons aux organes de presse ainsi qu’à toutes les représentations de la société civile, d’actionner les responsables publics récalcitrants. Quand on mesure l’ampleur et le nombre des «affaires» que révèlent la presse dans des pays de tradition démocratique, telles la France avec l’affaire de la vente du matériel militaire sensible, par exemple, ou en Italie pour les financements occultes des campagnes électorales, on se rend compte qu’il est impératif de légiférer. Il faut que l’opinion sache comment les affaires du pays marchent et que fait l’administration en matière de dossiers touchant l’intérêt général.
Les bonnes pratiques en politique, une garantie suffisante
L’éthique démocratique n’est pas une chose abstraite ou insignifiante. Il faut s’y faire. Mais, à elle seule, elle ne suffit pas. C’est une garantie morale, sans plus. Le cadre légal ne peut donc pas donner la garantie d’empêcher toute tentation ou toute velléité de dépassement. La vigilance populaire doit être de mise pour perpétuer l’obligation de transparence. C’est un attribut démocratique de base dont il faut se servir. En ce domaine, il faut d’abord lancer la machine. Et après, c’est le tempérament national qui fera le reste. Nous entendons par-là tout le mix, constitué par le degré d’exigence des citoyens et le sens des responsabilités, enfin le devoir d’intégrité du personnel politique. Il n’y a pas de doute, c’est une affaire de mental et une responsabilité collective. Il ne s’agit pas, pour le citoyen, d’être tatillon, mais c’est bel et bien un besoin d’être informé du degré de rectitude et de droiture des responsables publics.
Pour les grands dossiers de privatisation et des pratiques de gestion des commissions de marchés publics, tout doit être accessible au citoyen. Evidemment, la solution idéale c’est de pouvoir s’informer à distance grâce au système d’information de l’administration le «e-gov». Le projet a été entamé mais il est nécessaire de travailler à un plan d’urbanisation pour le système national dans sa globalité. La chose est tout à fait possible. Est-il permis de juger la sincérité du gouvernement à s’acquitter de cette obligation de transparence sur les progrès de l’open-gov? Je crois qu’on peut.