Tunisie : Carnets d’un jeune chômeur

C’est un jeune comme il y en a des milliers dans nos villages. Ils ont un rythme
de vie, et une condition, non pas pires que celles des jeunes chômeurs des
villes, mais différentes. Il a fait des études comme tout le monde, parce que
c’était une obligation, imposée par sa mère femme de ménage, et son père
chômeur
de longue durée, mais qui espère tellement un meilleur avenir pour son fils.

Il a dû arrêter les études à un certain moment, avant le bac, car ses résultats
étaient médiocres, et parce qu’au fond, il n’y croyait pas du tout. Il ne
pensait pas arriver à grand-chose, même avec le bac. Il s’alignait, comme
inconsciemment, avec l’attitude des jeunes de son âge (les 12-18 ans), à savoir
celle de se lever vers midi, passer au café voir qui est là… Retourner à la
maison voir s’il y a de quoi manger, s’il y a un peu d’argent, si la maman est
rentrée du travail (elle s’était levée à 5h du matin), si la sœur qui travaille
à l’usine a eu son chèque, et s’il y a moyen de provoquer une dispute (ou autre)
histoire de lui soutirer un peu d’argent…

Il reste à papoter devant la porte de la maison, «el houma», voir qui passe, qui
va et qui vient, qui fait quoi, etc. Il retourne au café jouer aux cartes,
regarder la télé, fumer (différentes substances)… Autres activités qui varient
d’une personne à une autre, et qui sont des gagne-pain très ponctuels et
éphémères, ce qu’ils appellent dans un jargon très propre à eux «des coups».
Bien entendu la légalité de la chose, on n’y réfléchit même pas. On prend ce qui
vient.

Vous vous demandez où est le nœud de l’histoire? Ca vient. ..

Ce jeune homme voit arriver sa mère, dans un camion de livraison! Avec un gros
carton…! Elle n’a pas acheté une télé plasma quand même, ce serait super, il va
frimer avec ca devant tout le monde! …Ben non, sa mère vient de recevoir un
cadeau, d’une ancienne maîtresse de maison où elle faisait le ménage, un four
pour pain «tabouna». Electrique bien sûr.

La femme en question aller emménager dans une autre ville, et voulait, plutôt
que de donner une certaine somme d’argent à sa femme de ménage (argent qui va
vite être dépensé…) lui acheter un outil de production. Un outil de travail
autonome, avec lequel elle peut gagner de l’argent, elle et sa famille, sans
rester tributaire d’une usine ou d’un employeur quelconque. La dame avait vu que
sa femme de ménage savait préparer du bon pain, et avait pensé bien faire…

«Regarde Zohra, avec ce four, tu vas pouvoir faire du pain chez toi, et envoyer
ton mari et ton fils les vendre, dans la superette du coin, celles des villes
d’à côté, etc. Ce sera ton outil de travail, tu ne seras pas obligée de toujours
faire du ménage, ta santé ne va pas longtemps supporter cela…».

Aujourd’hui le four est casé dans un coin de la maison, la bonne femme continue
à faire du ménage tous les jours, son mari à passer 12h par jour au café du
coin, sa fille à passer 12h à l’usine pour une misère, et son fils de 16 ans,
c’est-à-dire avec la force physique de la fleur de l’âge, à mener les mêmes
journées… Elle n’utilise le four que pour faire son propre pain…

Pourquoi?

Parce que son mari et son fils ont refusé d’aller vendre du pain, de traîner
avec un couffin, de superette en superette. Ce serait la honte. Ils traînent
dans les cafés, ils soutirent de l’argent à cette bonne femme, et ça ce n’est
pas une honte. Eux ils auraient voulu que le fils travaille à l’usine, mais le
chef dit de lui qu’il est indiscipliné, qu’il ne vient jamais à l’heure, qu’il
ne s’exécute pas, qu’il ne fait pas de rendement, etc. Lui, il aurait aimé
travailler dans une banque, après avoir eu son diplôme, seulement il ne faisait
pas beaucoup d’efforts en classe, son instituteur non plus ne croyait pas en
lui… mais surtout, il sait que même avec son diplôme, il risque de revenir
passer ses journées comme il les passe maintenant. Alors à quoi bon!

Ceci est une histoire vraie.

A bon entendeur.