PUBLICATION – Livre – Tunisie : «‘‘Le complot’’ – Barraket Essahel» de Sami Kourda (*)


sami-kourda-couv.jpgII – L’Enfer !

Sur près d’une quarantaine de pages, le Commandant Kourda raconte sa descente
aux enfers. Et, pour une fois, on a une idée assez claire sur l’Enfer. Le vrai !

Les premiers interrogatoires n’ayant pas donné de résultats notables (ceux que
voulaient les enquêteurs), le Commandant Kourda doit, à son tour, passer au
sous-sol du ministère de l’Intérieur subir le calvaire réservé aux suspects qui
s’obstinent à ne pas avouer. Dévêtu, mais en slip pour seul effet, il reçoit des
coups sur tout le corps pour ensuite être amené de nouveau à avouer ce qui n’a
jamais été dit ou fait. Le comble, c’est que, durant ses infinis
interrogatoires, il entend en permanence les cris des autres suppliciés, un peu
partout dans les étages de la grosse bâtisse. Rien que l’ambiance environnante
donne la mort à l’âme. Puis, le Commandant réalise qu’il ne sert à rien de se
cramponner à la vérité, qu’il doit jouer le jeu pour au moins échapper aux
coups, à la torture aveugle des hommes. Maintenant, face à ses interrogateurs,
il ne demande rien de plus que d’être aidé à trouver des noms. Alors, on lui
cite des noms qu’ils veulent, eux. Il dit oui. Ces officiers sont supposés avoir
comploté contre le très cher Chef de l’Etat.

Les aveux sont extorqués à l’image de la…maïeutique. Socrate aimait, par un
procédé génial, amener ses disciples à trouver eux-mêmes la réponse à des
questions d’ordre philosophique. Quant eux interrogateurs, ils vous proposent
des réponses à leurs questions, et à vous de choisir l’une ou l’autre jusqu’à
tomber sur la bonne, celle que veulent, eux. Ainsi, «la réunion (du complot)
s’est tenue pendant la journée du dimanche 6 janvier 1991 aux environs de
Hammamet…». Pourquoi «aux environs de» à la place d’une réponse précise? C’est
parce que, étant complètement hors du coup (un coup qui n’a même pas eu lieu),
le Commandant Kurda s’est ingénié à dire «qu’on l’avait emmené les yeux bandés
pour ne pas reconnaître les lieux du complot».

Mais ce n’est pas tout. Après les noms et la date du complot, on lui demande
maintenant de décrire un peu le scénario du putsch contre le Chef de l’Etat. Et
c’est l’impasse. Même doté d’une grande imagination, quand on a subi des coups,
on ne peut plus imaginer quoi que ce soit.

S’ensuit une rencontre avec le Chef de la Sécurité de l’Etat. Et là, une scène
surréaliste: deux officiers, dont Kourda, s’accusent mutuellement d’avoir pris
part à la réunion du complot. C’est dire l’effet, l’impact tragique de la
torture sur les hommes: ils en arrivent à s’accuser réciproquement tout en
sachant qu’ils sont innocents, l’un comme l’autre. Mais ça, plutôt, c’est
l’effet Ben Ali. C’était, heureusement… D’ailleurs, à un moment, Ben Ali s’est
rendu, la nuit, au ministère de l’Intérieur, très soucieux, comme il était,
d’apprécier de très près l’évolution de l’enquête; et un peu pour savourer la
torture infligée aux grands noms de l’armée tunisienne.

Suivra un peu plus tard une audience avec le ministre de l’Intérieur de
l’époque, un certain Abdallah Kallel. Le Commandant Kourda préconise qu’on
reprenne l’enquête à zéro, tant l’enquête en cours s’est avérée insensée,
loufoque, à l’orée de la débilité. Mal en avait pris tout le monde: car d’autres
personnes vont connaître la torture.

(à suivre)

(*) Sud Editions, 250 pages, 15 DT