«C’est vous, les médias, qui, à trop en parler, avez donné au mouvement salafiste plus d’envergure qu’il n’en a; vous êtes en train de semer la zizanie dans le pays en faisant de ce mouvement un ogre à donner la mort dans l’âme aux citoyens!». L’homme qui parle ainsi est un chauffeur de taxi d’à peu près 30-31 ans et qui arbore une barbe plutôt assez fine, presque discrète.
A vrai dire, certaines gens sont devenues coutumières de ce genre d’attaques contre les médias chaque fois que les pouvoirs publics, pour des raisons que nous ne comprenons plus, paraissent sceptiques, indécis et comme de simples observateurs face à tout ce qui se passe dans le pays.
Evidemment, les propos de notre chauffeur de taxi semblent, a priori, empreints de sagesse: ne pas conférer au mouvement salafiste une dimension qu’il n’a pas ou qu’il ne mérite même pas. Sauf qu’il serait encore plus sage et perspicace de flairer dans de tels propos une espèce d’intimidation: puisque la police n’est pas parvenue à (ou ne veut pas) mettre la main sur les fauteurs de troubles à la Faculté de La Manouba au sujet du niqab, sur les auteurs des agressions contre les journalistes et les artistes, et jusque sur le profanateur du drapeau national porté ‘‘introuvable’’ jusqu’à présent, autant se taire donc et laisser faire. Mais là, c’est un signal (lancé tout le temps et dans maints milieux) très fort: réduire tout le monde au silence (comme du temps de Ben Ali, en fait) et faire passer le pays entier sous la coupe salafiste. Une petite question au passage: ils sont combien ces Salafistes au point de décider d’embarquer onze millions de Tunisiens dans leur locomotive?
Venons-en au fait: va-t-on tout bonnement vers une guerre civile? Nous ne voudrions pas le penser. Sauf que le ministre de l’Intérieur, M. Ali Larayedh lui-même, semble le penser très sérieusement. Au journal Le Monde daté du 21 mars dernier, il a confié: «Je sais que je vais devoir mener une grande bataille», et à propos des Salafistes: «Ils ne rendront pas les armes; nous allons vers un affrontement presque inévitable». Il aurait même prévenu les Tunisiens quelques jours auparavant que la bataille serait rude et qu’il y aurait des victimes, ajoutant que «Si nous ne les arrêtons pas, nous aurons Al Qaïda chez nous». Et c’est alors que le Général Rachid Ammar se serait écrié: «Bientôt, je vais siffler la fin de la récréation!». Cet autre signal, un vrai avertissement à valeur d’ultimatum, est à prendre très au sérieux face aux atermoiements des pouvoirs publics provisoires. Face au laxisme, au laisser-aller, au laisser-faire et à cette nouvelle dictature, l’intervention de l’armée serait probablement la bienvenue.
Cela étant, il faudrait tout de même rappeler les événements de la semaine écoulée. Durant l’après-midi du jeudi 29 mars, des Salafistes, désireux de protéger leur camarade (qui a retiré le drapeau national) à l’occasion des obsèques de son père, ont quadrillé le cimetière et profané le mausolée de Sidi Ahmed Assila El Gharbi au Bardo, puis celui de Sidi Ahmed Zaïer, enfin la tombe de Sidi Abbès. Argument: le maraboutisme est contraire à l’islam. Selon des témoins oculaires, ils étaient armés d’épées, de gourdins et d’armes blanches. Et désormais, comme dans les films d’horreur, ils ont leur propre signature après chaque attaque: «La jeunesse de l’unicité».
Face, donc, à cette vague de profanations et de violences, il faudrait en plus que les médias se taisent. Mais elle servira quel intérêt national cette démission générale tant souhaitée? Plutôt la fin de la récréation qu’un silence lâche et complice!!