Alors que Stacey Kent «kiffe grave» était en Tunisie durant la première soirée de «Jazz à Carthage» faisant rien que, par son passage, un coup de pub éclatant pour la Tunisie, un appel a été lancé depuis la France pour un retour du tourisme en Tunisie.
Parmi les signataires, on retiendra des stars de la politique et du show bizz comme Laurent Baffie, Patrick Besson, Michel Boujenah, Hervé de Charrette, Patrick Chêne, Patrick Chesnais, Julien Clerc, Jean Daniel, Olivier Dassault, Bernard Debré, Isabelle Debré, Bertrand Delanoë, Michel Drucker, Flavie Flament, Marc-Olivier Fogiel, Jean-Pierre Foucault, Valérie-Anne Giscard d’Estaing, David Khayat, Jack Lang, Henri Leconte, Guy Martin, Frédéric Mitterrand, Serge Moati, Nicoletta, Julie Piétri, Patrick Poivre d’Arvor, Jean-Pierre Raffarin, Hélène Ségara, Jacques Séguéla, Claude Sérillon, Fabienne Servan Schreiber, Antoine Sfeir, Smaïn, Charlotte de Turckheim, Alba Ventura, Christian de Villeneuve, Philippe de villiers, Henri Weber…
L’appel des 109 personnalités françaises qui sortira sur Le Figaro et le magazine Tunisie Plus est dirigé par le voyagiste franco-tunisien Hosni Djemali. L’appel rappelle que: «les Tunisiens ont pris leur destin en main et leur Révolution a été le point de départ de la révolte d’autres peuples. En moins de quinze mois, ils ont aussi construit les fondations de la démocratie. Pour autant, tous les problèmes, notamment économiques, ne sont pas réglés. La Tunisie a toute notre sympathie et notre estime. C’est un pays où la langue française est encore largement pratiquée, où l’enseignement est généralisé, où la femme est dotée d’un statut remarquable et irréversible, où l’intolérance n’a pas sa place. Nous, pour qui la Tunisie est une référence, avons-nous pris nos responsabilités? N’avons-nous pas déserté les sites archéologiques, les plages et autres déserts fragilisant ainsi un secteur clé de la croissance tunisienne: le tourisme? N’avons-nous pas fui cette révolution paisible dont pourtant nous nous félicitons? Oui, nous devons changer d’attitude. Oui, nous devons traduire notre solidarité par des actes et pas seulement par des mots. Citoyens français, par delà nos différences d’opinions et de sensibilités, nous pensons qu’il en va de l’intérêt de nos deux pays d’accompagner le développement et la croissance de la nouvelle Tunisie. Et quelle meilleure façon que de partir cet été en famille, entre amis, à la découverte de ce pays en pleine mutation? Aider la Tunisie, c’est y aller. Aimer la Tunisie, c’est y retourner».
Voici une initiative qu’accueille positivement le monde des medias tunisiens. On voit aussitôt fleurir sur le net des commentaires du style: «On ne peut que remercier ces signataires pour l’amour exprimé à notre cher pays en encourageant leurs concitoyens à passer leurs vacances chez nous pour nous aider à s’en sortir de notre crise économique». Il y a aussi des commentaires moins enthousiastes liés notamment aux relations jugées étroites et malsaines avec l’ancien pouvoir de l’initiateur de cette initiative. Mais là c’est un autre débat.
De façon pragmatique, quelle peut être la portée de cette initiative? Quelle est l’image véhiculée par les médias français en ce moment? Les touristes français reviendront-ils cet été? Quelle approche met-on en place pour les faire revenir? De quoi auraient-ils peur?
Daniel Delvert est expert en tourisme. Il travaille depuis des années sur le Maroc et la Tunisie au sein d’un cabinet spécialisé dans le consulting, la formation et le coaching. Il résume la situation que traverse en ce moment la destination en ces termes: «L’image actuelle de la Tunisie dans les médias français est celle de l’instabilité politique, sociale et … religieuse. Durant la “révolution du Jasmin”, on était inquiet de la situation, mais il y avait un capital de sympathie et de solidarité de la part des touristes européens. On attendait un peu de calme pour retourner en Tunisie. Mais en ce moment, les images de Salafistes grimpés sur l’horloge à deux pas du ministère de l’Intérieur, les drapeaux noirs, les agressions… Tout ça, dans le profil d’un Français qui est souvent confronté aux excès de l’Islamisme, cela dégage des peurs fondées ou non!».
Dans son commentaire, il rajoute que la conjonction des vacances d’été avec le Ramadan freine aussi les envies de départs des touristes européens vers les pays du Maghreb. Il précise: «Que dire dans un pays où les Salafistes multiplient et diversifient leurs types d’activités pour être visibles et mieux apparaître en Tunisie et en dehors du pays! Qui peut assurer que la lecture (déviée) du Ramadan ne va pas conduire ceux-là à essayer d’attenter au style de vacances des Européens et même si ces touristes, le plus souvent, essaient de rester discrets pour ne pas provoquer ceux qui font le Ramadan ? Voilà le danger pour les vacances d’été en Tunisie!».
Du côté de l’administration tunisienne, on assure et rassure en prenant toutes les mesures possibles pour garantir la sécurité des touristes. La Tunisie touristique n’est pas peu fière du fait que depuis le début de la révolution, pas un incident n’a été enregistré ni envers les touristes ni vis-à-vis des établissements touristiques. A quelques semaines du début de la «Ghriba» qui se tiendra début mai, un dispositif sécuritaire spécial sera érigé autour de l’ile de Djerba qui se prépare à la fête dans un contexte marqué par quelques tensions liées à la présence des diverses religions établies dans le pays.
Cependant, si le tourisme peine à revenir, il convient de rajouter que la crise que connaît la France et les autres pays européens y est aussi pour beaucoup. Cela a pour conséquence des limitations sur les budgets des vacances. C’est connu, en temps de crise, on part moins loin et moins longtemps.
De l’avis des spécialistes, c’est l’Espagne qui est et sera la grande gagnante de la saison à venir et des révolutions arabes. C’est elle qui a récupéré des parts de marché conséquents suite à la désaffection des destinations comme l’Egypte, la Tunisie ou le Maroc. Cet avis, Daniel Delvert le partage entièrement. Il précise que l’Espagne propose un «voyage moins coûteux avec une qualité des équipements et du service qui est évidente en rapport avec la Tunisie et un climat équivalent». L’Espagne en crise a baissé ses tarifs et propose des prix rivalisant avec la Tunisie. Déjà en 2011, la destination a connu un accroissement de son nombre de touristes de 8% sur plus de 50 millions de visites et donc une augmentation de plus de 4 millions de Touristes sur 2010. L’équivalent en accroissement de ce que la Tunisie pourrait accueillir!
Pour en revenir à l’appel en question, que de grands amis de la destination Tunisie essayent de la soutenir de toutes leurs forces, cela est louable, mais les experts en tourisme et en communication attirent l’attention sur l’inefficacité et l’indélicatesse de demander aux touristes de devenir des «vacanciers militants». Une maladresse qu’a commise Moncef Marzouki en présentant ses vœux de bonne année aux français en d’année 2012.
Les pétitions et les marques de soutien sont un grand secours pour la Tunisie mais c’est à la destination elle-même de convertir positivement la sympathie en réservations et en reprise du tourisme. Cela nécessite une approche inventive et pragmatique. Les régions touristiques tunisiennes et le pays dans son ensemble sont calmes et une fois encore la destination est pénalisée par son manque et sa qualité de communication.
Alors qu’elle devrait séduire, respirer la créativité post révolutionnaire et transpirer l’effervescence, la destination reste figée dans une image archaïque et passéiste. Au lieu de sentir la vie, la Tunisie fait peur et fuir… A qui la faute? Où sont les réponses? Qui a le sésame pour l’envol de la destination? Au terme de 100 jours d’action d’un gouvernement légitime, on devrait très sérieusement se poser les bonnes questions et au plus vite.