Les incidents dont a, à nouveau, été le théâtre l’avenue H. Bourguiba, lundi 9 avril, à l’occasion de la commémoration de la fête des Martyrs, sans donner pleinement raison aux uns ou aux autres, suscitent plusieurs interrogations auxquelles il serait également malaisé d’apporter des réponses convaincantes. Nous sommes entrés dans une logique de bras-de-fer pour le moins consternante et qui ne pourrait, à la longue, déboucher que sur un chaos dont, comme toujours, seuls sortiraient perdants les manifestants et les journalistes, ceux-ci étant devenus la cible privilégiée des ennemis de la liberté des médias en général.
Point de chute de la révolution du 14 janvier 2011 (considérant que le point de départ a sans nul douté été Sidi Bouzid), l’avenue H. Bourguiba est donc devenue le symbole même de cette révolution et, aujourd’hui, la pomme de discorde entre le ministère de l’Intérieur et les nostalgiques passionnés de ce symbole ayant précipité la fuite du président déchu.
Il y a lieu de rappeler d’abord que la décision portant interdiction de manifester sur l’Avenue est survenue au lendemain du 25 mars, journée houleuse qui a vu s’affronter artistes et Salafistes, l’un de ces derniers ayant été jusqu’à faire trôner le drapeau noir au faîte de l’horloge en signe d’appropriation de la Place du 14 janvier. Plus qu’un symbole donc, l’Avenue –avec son horloge– est devenue l’âme ou le cœur battant du pays et dont tout un chacun voudrait faire une chasse gardée pouvant être un tremplin pour d’autres conquêtes –celle du pouvoir étant la finalité.
Puis, samedi 7 avril, il y eut cet affrontement entre les forces de l’ordre et les diplômés en chômage qui ont décidé de manifester en dépit de la décision du ministère de l’Intérieur. C’était donc la première expression d’un bras-de-fer qui s’était poursuivi hier, les uns (les manifestants) comme les autres (les forces de l’ordre) ayant campé sur leurs positions.
C’est un engrenage difficile à gérer. Il est, d’abord, légitime de se demander aujourd’hui si le ministère de l’Intérieur –en cette période où le pays ambitionne de s’acheminer vers une démocratie de fait– était vraiment en droit de prendre unilatéralement une telle décision, et s’il n’était pas plus raisonnable d’engager, avant toute décision, un dialogue avec toutes les parties concernées afin d’apprécier la nécessité, ou non, d’une telle décision. Mais maintenant que les dés sont jetés –dans l’anarchie–, on ne voit plus l’issue d’une telle situation qui va s’envenimant à chaque occasion. Car il faudrait se dire que, à moins d’une démission ou limogeage du ministre de l’Intérieur, celui-ci ne ferait plus marche arrière en se rétractant. On ne voit pas, en tout cas, comment le gouvernement désavouerait son ministre de l’Intérieur au risque de mettre l’ensemble des forces de l’ordre en porte-à-faux vis-à-vis des citoyens. Et en face, on ne voit pas comment raisonner les manifestants (la force ne pouvant déboucher que sur un bain de sang, sans plus) et les amener à user de leur droit ailleurs qu’à l’Avenue Bourguiba. Très complexe est la situation.
Ensuite, il faudrait tout de même être logique avec soi-même et se demander en quoi l’Avenue devait-elle être le théâtre de la commémoration des événements de 1938. Nos Martyrs tombés entre le 8 et le 9 de cette année ont, depuis l’Indépendance, un carré bien à eux, le mausolée de Séjoumi. Va-t-on encore commémorer les événements de Sakiet Sidi Youssef sur… l’Avenue Bourguiba?
Or, deux autres questions, bien cruciales, se doivent d’être posées: pourquoi, hier, tout cet acharnement et toute cette hargne manifestés par les forces de l’ordre contre les manifestants? Au nom de quel humanisme (au nom de quoi tout simplement?) s’attaque-t-on de la sorte à des citoyens aux mains nues et surtout qu’ils entreprenaient une marche pacifique, sans plus? Pourquoi? … S’il y a transgression de la loi, c’est que, tout simplement, cette loi devrait être remise en question. Il n’y a aucune honte à se rétracter, mais la honte –la vraie– est de continuer à faire couler du sang en cette période transitoire où le pays entier se cramponne de toutes ses forces à l’espoir de voir la Tunisie en finir avec le totalitarisme et tourner une fois pour toutes la page de la dictature sauvage et grotesque.
Et comment expliquer que certains Salafistes se soient rangés du côté des forces de l’ordre pour tabasser des Tunisiens comme eux? Le journaliste Hechemi Nouira affirme avoir été agressé, non par la police, mais «par des civils»; qui sont ces «civils» qu’il a cru pouvoir identifier comme étant «des milices de certains partis» ? Quel parti?!… Ça sent très mauvais tout cela!