Les Tunisiens éditeurs de logiciels bancaires sont furieux, et pour cause!
Des contrats mirobolants sont en train de se conclure entre les banques et des éditeurs étrangers. Mirobolants c’est peu dire quand il s’agit de contrats valant nominalement cinq, vingt à cinquante fois plus les prix qui leur ont été imposé de conclure les leurs. Furieux car les délais de réalisation nouvellement négociés sont trois à cinq fois plus longs que ceux imposés aux Tunisiens!
Ils sont encore plus furieux car pour réaliser ces fameux contrats les éditeurs étrangers ont déjà commencé à opérer des débauchages sauvages des meilleurs éléments des éditeurs tunisiens entrainant une aggravation de la situation voire une mise en péril l’existence même de ces éditeurs tunisiens! D’aucuns ont rétorqué qu’ils n’ont qu’à intenter des procès! Mais avec leurs moyens financiers, les éditeurs étrangers jouent sur du velours. Il est commun de réaliser qu’au cas où nos éditeurs gagneraient leur cause, ces derniers auront déjà disparus, les autres auront quitté le pays!
De toutes les façons, la rupture des contrats avec les locaux ne peut pas être le garant de la réussite des banques tant que les problèmes n’auront pas été diagnostiqués et résolus. En effet, certains éditeurs locaux ont vu leurs contrats gelés, d’autres ont été acculés à accepter, d’autres à porter plainte… mais que peuvent-ils espérer dans l’immédiat sinon une mise à l’index du secteur bancaire et leur bannissement du marché pour longtemps. Et puis, auront-ils se temps de survivre?
Ils sont d’autant plus furieux queface à cette iniquitépersonne et encore moins les autorités concernées ne comptent réagir au naufrage des entreprises tunisiennes qui ont embauché, formé et investit massivement et qu’ils sont aujourd’hui acculés à lever le pied après tant d’efforts et que leurs sacrifices ne seront utiles que pour les étrangers car ils vont récupérer gracieusement un marché éduqué et des compétences déjà formées. Le reste des effectifs ira grossir la horde des sans emploi, ils alimenteront les rangs des laissés pour compte…
Alors que le pays a besoin d’embauche, certains éditeurs tunisiens sont déjà obligés de commencer de débaucher les ressources qui restentcar ils n’ont plus les moyens de supporterni la charge financière que cette la concurrence déloyale va inévitablement entrainer, ni la surenchère qui va en résulter en interne et par la même occasion sur le marché de l’emploi.
Et quand bien même les banques auraient des motifs plus ou moins justifiés à l’encontre des fournisseurs tunisiens, aucun dialogue concluant n’a été engagé pour y remédier, malheureusement. Aucune revue des contrats léonins n’a été envisagée. Elle a même été rejetée vigoureusement en disant aujourd’hui qu’ils n’avaient qu’à ne pas signer!
Certes, les éditeurs tunisiens ont parfois eu du mal à réaliser certaines de leurs obligations contractuelles. Mais qui n’en a pas, éditeurs étrangers compris et ce l’avis même des banquiers qui ont fait le saut? Après plus de dix décennies d’indépendance on ne devrait pas parler du «complexe du chapeau » ? Pourquoi devraient-ils être des seuls à payer l’inconscience et l’inaction de ceux qui en ont la charge.Les éditeurs tunisiens ne sont pas les seuls responsables des manquements et griefs prétendument observés?
Il est fâcheusement regrettable qu’aujourd’hui tout le monde semble oublier l’objectif visé. Es-ce la révolution qui a soudainement engendré cette capacité incommensurable à changer les convictions des gens? On se refuse d’y croire!
En effet, quoi que l’on puisse dire des intentions autorités tunisiennes de l’époque, leur dessein de créer une industrie du logiciel est non seulement justifiée mais leur vision était on ne peut plus profitable, plus juste, plus cohérente et plus bénéfique pour le pays si tout le monde y avait mis du sien. En investissant les éditeurs tunisiens ont cru au défi lancé, ils ont accepté des conditions contractuelles iniques en pensant que les parties concernées auront, avec le temps, le bon sens nécessaire pour réussir ensemble ce challenge.
Force est de constater que cela n’a pas été le cas aujourd’hui!
Il est judicieux de rappeler pourquoi la création d’une industrie du logiciel est profitable pour le pays:
Primo, créer une industrie ce n’est pas seulement quelques centaines d’emplois que l’on créé mais des milliers car une industrie crée des emplois en amont et en aval de son propre secteur. Une industrie, contrairement à un besoin ponctuel, crée une demande permanente à plusieurs niveaux : depuis l’enseignement, la production, les partenariats, l’innovation et ce jusqu’à la maintenance en passant par moult sous-traitants et fournisseurs… tous nationaux. Enfin, «the last but not the List», elle devient une locomotive qui draine des devises vers la Tunisie, qui crée un savoir-faire innovant et de référence, qui génère une recette fiscale, le tout créant une autre demande : ainsi, c’est toute une chaîneavec un effet d’entrainement colossal pour la croissancemais avec si peu de moyen : si, juste de labonne volonté politique.
Secundo, le logiciel est et restera une manne pour le développement de la Tunisie car il ne requière pas de moyens hors de sa portée, pas d’investissements lourds, pas de technicité inaccessible. Il n’est un secret pour personne que dans le monde de l’immatériel seules les ressources humaines sont nécessaires et qu’elles seront inévitablement valorisées au terme de réalisations basées sur des contrats équitables.
Or, de tout temps, les ressources humaines ont constitué un atout majeur pour des pays comme la Tunisie : taille de marché, nombre et qualifications humaines, position géographique, culture, savoir-faire technique… Faut-il que tout cela soit sacrifié au nom de je ne sais quelle amèrerancune ou autres soit disant impératifs?
Mais si une telle cible (la création d’une industrie) est si louable et si bénéfique mais qu’il y a eu des loupésdans la méthode ou dans la trajectoire, le plus sage ne serait pas tant de rejeter la cible mais de rectifier la trajectoire en remédiant aux ratés, en unissant les efforts pour résoudre les problèmes.
Messieurs, il y a distinguo à faire entre la cible et la trajectoire!
D’aucuns croient que ces éditeurs étrangers vont créer de l’emploi et qu’ils vont opérer le transfert technologique dont aurait besoin le pays! A ces crédules, il est temps de rappeler que:
emploi à créer sera un emploi volé et surtout éphémère car il sera au gré des marchés conclus et dont les retombées en Tunisie sont et resteront limitées à des miettes car ces rapaces ne sont pas là pour notre développement mais pour le leur exclusivement.
Il faut être ignorant du domaine des IT pour croire un instant que les éditeurs étrangers vont la céder le moindre savoir-faire ou innovation car même s’ils ont une certaine présence en Tunisie, ils s’arrangeront toujours pour réaliser leurs développements de manière parcellaire en saucissonnant le travail entre plusieurs pays afin que ce savoir ne soit jamais transmis et que personne ne puisse le capitaliser en dehors de leur siège.
L’impôt espéré seraréduit car la facturation sera soit faite en offshore, soitadroitement ajustées comme savent le faire les multinationales avec leurs facturations internes. Il est trivial et communément admis qu’ils ne sont là que pour profiter des facilités qu’offrent notre fiscalité et non pour la renflouer.
La solution de facilité serait de ne voir le problème que du seul angle court terme comme nos banques semblent le voire. Elles devraient être les mieux placés pour se rendre compte que seul l’essor endogène est créateur de richesses.Certes, toute richesse sera difficile à développer mais seul ce qui est durement arraché constitue un capital, il ne se donne pas, il se mérite à coups de sacrifices, d’endurance et de persévérance de la part de tous!
Certes, les banques ont besoin aujourd’hui de moyens et d’outils à l’image de leurs ambitions de développement. Certes l’informatique est manifestement un levier de déploiement de taille dans tousles systèmes bancaires. Mais n’aurait-il pas été plus facile de revoir ces contrats arbitraires?
Quand il faudra accepter de payer vingt fois plus avec à la clef des contrats encore plus inégaux pour elles,il y a mal à croire que créer de nouvelles dépendances avec l’étranger serait une bonne réponse au problème. Cela relève plutôt de la fuite en avant!
Mais si, juste un instant, on va plus loin dans le sens dela démarche suivie par les banques, il faudrait aussi importer des cadres, des PDG voire des ministres, on y gagnerait en bonne gestion mais alors quid des valeurs pour lesquelles nous avons tant lutés et qui constituent le ciment d’une nation qui n’a de richesse que par les valeurs de ses hommes et ses femmes?
Il y a mal à croire que cela serait une contrepartie digne pour tous les martyrs de l’indépendance à nos jours? Eux qui ont sacrifié leur précieuse vie pour la non-dépendance!
Cela n’est pas nationalisme sectaire! Tous les pays -les pays développés plus que les autres- protègent d’une manière ou d’une autre leurs industrieset en particulier cellesqui leurs permettent de faire «leur beurre». Ils n’abandonneront jamais les industries qu’ils jugent stratégiques, celles où elles ont une longueur d’avance avec plusieurs avantages comparatifs et encore moins celles où la petite Tunisie pourrait leur faire de l’ombre. Ils ne lui sacrifieront que les industries qui ne leurs conviennent plus car peu technologiques ou parce qu’elles leur posent des problèmes d’environnement ou d’approvisionnement ou par ce qu’elles sont devenues trop onéreuses.
Nous avions bien, nous aussi et des années durant, protégé notre marché des produits où la Tunisie avait un avantage comparatif tel que le textile, l’agroalimentaire et autres. Aujourd’hui il est évident pour tous que c’est le domaine des IT qui doit être protégé car on peut être un leader sui seulement on se donnait les moyens par une bonne politique, car le problème est plus politique qu’économique!
Les entreprises étrangères en question ont des moyens énormes, elles peuvent produire là où cela est le moins cher tout en s’arrangeant pour pouvoir changer de site en moins d’une semaine sans aucun intérêt pour le pays hôte, n’en déplaisent aux contradicteurs de circonstances.
La Tunisie en particulier doit teniràgarder et à développer une industrie des IT carnous avons le moyen de le faire et que nous détenons un avantage comparatif certain et incontestable: les ressources humaines. Les pays développés le savent bien, ils savent que nous devenons des concurrents sérieux mais c’est à nous de réagir pour protéger nos entreprises!
Aujourd’hui, force est de constater que nous avons les ressources humaines idoines.Hélas, trois fois hélas, on n’a plus la volonté ni les contrats équitables ! Les éditeurs tunisiens ne demandent ni l’annulation des contrats passés, ni la proscription des éditeurs étrangers du marché tunisien mais seulement une prise en considération de l’intérêt national en jeu.
Ils n’osent pas penser que la Tunisie post révolution a préféré la politique qui veut que tant qu’un problème n’est pas posé en termes violents, il peut être ignoré, on attendra le retour du boomerang.
Il est certainement plus facile pour les entrepreneurs nationaux qui investissent, qui embauchent et qui payent leurs impôts, de chercher à représenter des produits étrangers pour les vendre en Tunisie. Cela ne crée pas la valeur source de devises : bien au contraire, cela sera une source de sortie de devises en royalties. Ils ne capitaliseront pas du savoir-faire mais ils favoriseront une lourde dépendance de l’étranger qu’il faudra payer tôt ou tard à n’importe quel prix. Cela ne permettra qu’une timide création d’emplois précaires car le titulaire des droits pourra opérer d’où il veut, quand il veut et à travers qui il veut: y compris à travers des emplois étrangers. Cela sera non seulement des retombées fiscales en moins mais une autre source de fuite fiscale!
Est-ce cela l’intérêt de la Tunisie nouvelle? Celle qui a créée tellement d’espoir auprès de tant d’hommes et de femmes qui travaillent ou espèrent travailler dans l’industrie tunisienne?
Ils sont en droit se poser la question cruciale : Y-a-t-il périls en la demeure?
La réponse passe par une réflexion aux quelques questions posées dans ce papier. La réponse passe aussi et surtout par ceux pour qui l’intérêt national est leur job ou du moins qu’il représente unsouciet qu’ils nous donnentce que tout le monde attend: de la visibilité pour que l’on continue à investir.
Un éditeur tunisien