En revenant sur sa décision, le gouvernement retire le tapis de sous les pieds de l’opposition. Quels sont les bénéfices escomptés de cette habile manœuvre de marketing politique?
En annulant l’interdiction de manifester sur l’avenue Bourguiba, le gouvernement reprend la main. Lundi 9 avril, il avait perdu la face. Le bon peuple lui disputait l’espace public, bravant la répression policière. Surprise inattendue pour le gouvernement, en déclenchant la fureur des masses populaires, il offrait un cadeau sans pareil à l’opposition.
En effet, cette dernière se retrouve remise en scelle puisqu’elle a pu surfer sur la contestation de rue. L’opposition, étouffée au sein de l’ANC (Assemblée nationale constituante), revenait dans la partie dans l’arène de l’avenue Bourguiba, champ d’honneur inestimable et tribune de popularité sans pareille. Ayant réalisé l’ampleur du cadeau qu’il fait à l’opposition, le gouvernement s’est ravisé, vite fait. En rouvrant l’avenue Bourguiba, le gouvernement, peut laisser croire qu’il cherche à séduire le bon peuple. En réalité ne vise-t-il pas à reprendre le bonus d’audience qu’il a offert, fortuitement, à l’opposition?
La symbolique de l’avenue Bourguiba
La valeur sentimentale de l’avenue Bourguiba est capitale, pour qui veut comprendre les enjeux politiques actuels dans le pays. Deux dates lui ont conféré ce potentiel. Le 9 avril 1938, d’abord. Cette date gravée dans les mémoires est celle où le peuple, consentant, est allé défier le pouvoir colonial et s’exposer à ses balles meurtrières. Le 14 janvier 2011, ensuite. Le peuple a mis à bas la dictature policière de Ben Ali. Et depuis, il croit qu’il est interdit d’interdire.
Alors, la mesure initiale décidée par le ministère de l’Intérieur mettait le gouvernement dans une posture défavorable et cristallisait la contestation populaire. La légitimité électorale ne peut pas justifier cette restriction. Le peuple refusait qu’on le mette au pas. S’étant réapproprié sa souveraineté en y payant le prix du sang, il veut demeurer maître du jeu, et se réapproprier cette avenue emblématique, véritable prise de guerre contre l’arbitraire, devenue gage de sa libération. La lui confisquer revient à l’aliéner de nouveau.
On a pu observer que l’interdiction avait eu pour effet, dans la foulée de la fureur contestataire, de ressouder l’unité nationale autour de l’idéal de liberté et de démocratie. Et l’opposition a vite pris la vague. Un cadeau qui lui tombait du ciel.
Le gouvernement cherche à reprendre l’initiative
Dans l’enceinte de la Constituante, le gouvernement s’emploie à reprendre l’initiative en présentant la loi de finances complémentaire. Cela lui permettait d’escamoter ses autres contreperformances. La série est longue. Mais on peut les résumer dans le retard pris sur le terrain par rapport aux promesses électorales. Ajouter à cela une série d’autres bavures comme celle à l’encontre des blessés de la révolution.
En réalité, le gouvernement est engagé dans une partie difficile. L’économie ne redémarre pas et cela n’arrange rien. La bataille pour l’emploi s’enlise et cela exaspère l’opinion. Le retour de la confiance n’est donc pas acquis. Le gouvernement est ainsi privé du bénéfice de la stabilité. La mise à l’épreuve se complique pour le gouvernement. Dans ce contexte précis, l’opposition était impuissante. Elle s’égosillait à démontrer que sous le couvert de la Troïka, Ennahdha cherchait à s’emparer de l’appareil d’Etat. Tout le temps qu’elle le faisait dans l’enceinte de l’Assemblée, elle était inoffensive. Confinée, dans la position inconfortable, des spectateurs du «poulailler», dernier étage dans un théâtre ou de galerie de virage au stade, elle ne parvenait pas à tacler le gouvernement, qui est pourtant en difficulté.
Réinvestissant la rue, elle modifie la guerre de position en offensive directe. Gagnant en échos, son message fait tilt. Cette emprise soudaine sur la situation a, selon notre appréciation, précipité le revirement du gouvernement. De nouveau, il peut remettre l’opposition en sourdine dans l’attente, probablement, de pouvoir la laminer. Le clash entre Ennahdha contre le parti de Hamma Hammami est de cette nature. Il restera l’opposition centriste. Désormais elle peut affronter Ennahdha avec pour seul programme la défense des libertés. La défense de la cause du peuple peut, dans les circonstances actuelles, tenir lieu de programme, car l’instant est redevenu hautement politique. Ennahdha se trouve, par la force des choses, engagée dans une course de vitesse pour lui barrer la route. Mais est-ce que cela peut avantager la transition démocratique? La question demeure entière.