Environnement fiscal
Le principal objectif de la redistribution est de limiter les inégalités de la
répartition des revenus et des richesses et donc les tensions sociales. Elle
peut prendre plusieurs formes.
Traditionnellement, on distingue deux dimensions de la redistribution: D’une
part, la redistribution horizontale, sur le cycle de vie, supposée réaliser des
transferts qui ne sont pas occasionnés par la hiérarchie des revenus. Il s’agit
donc soit d’opérations entre ménages situés dans la même tranche de revenus,
soit d’opérations fondées sur d’autres critères que le revenu (Ce graphique
représente le partage de la valeur ajoutée aux coûts des facteurs, le taux de
marge (part de la rémunération du capital dans la valeur ajoutée) étant le
complément de la part des salaires).
Ce graphique représente le partage de la valeur ajoutée aux coûts des facteurs,
le taux de marge (part de la rémunération du capital dans la valeur ajoutée)
étant le complément de la part des salaires.
A ce sujet, la protection sociale paraît adaptée pour répondre à ce problème
puisqu’elle vise à effectuer des transferts de ressources au profit de personnes
exposées à un risque social.
D’autre part, la redistribution verticale, c’est-à-dire des riches vers les
pauvres, grâce aux systèmes fiscaux et aux prestations sociales. Elle est censée
réduire les inégalités des revenus. Elle a comme principal objectif le
resserrement des écarts de revenus. L’impôt progressif sur le revenu est sans
doute l’instrument privilégié. Un impôt est progressif lorsque le taux moyen
d’imposition croît plus vite que le revenu, autrement dit, l’élasticité du
rendement de l’impôt est supérieure à 1. De ce fait, la progressivité peut
s’analyser comme la structure d’un prélèvement, c’est-à-dire la répartition d’un
dinar d’impôt entre les contribuables classés selon leur position dans la
tranche des revenus, tandis que les effets redistributifs mesurent l’ampleur des
variations introduites par ce prélèvement dans la distribution des revenus.
Toutefois, il est important de souligner que le débat sur les questions de
redistribution est souvent tendu. En effet, il se trouve souvent que les
intérêts des uns apparaissent comme directement antagoniques avec ceux des
autres, de telle sorte que la sensibilité sociale et politique est dans ce
domaine extrême. Naturellement, les contributeurs nets à l’ensemble du système,
c’est-à-dire ceux auxquels on prélève plus que l’on ne donne seront toujours en
faveur d’une réduction des prélèvements, le contraire étant vrai des
bénéficiaires nets.
Qu’en est-il de la redistribution en Tunisie?
En Tunisie, sur chaque dinar produit par un agent économique, environ 260
millimes sont en moyenne prélevés par l’État et réorientés vers d’autres agents
économiques, ou consacrés au financement de biens et/ou services consommés
collectivement. Ainsi, certains jugent qu’à ce niveau, l’intervention de l’État
est excessive. On prélève énormément et il y a toujours beaucoup de pauvres et
de gens qui ont une vie très difficile dans notre pays. La solution passe pour
eux par une réduction raisonnée du rôle redistributif de l’État. Pour d’autres,
le taux de 26% de prélèvement obligatoire est un niveau raisonnable, voire
faible comparé à celui des pays occidentaux (45% en France par exemple).
Graphique 2 : la répartition des prélèvements obligatoires
Source : Ministère des finances
S’il n’existe aucune preuve attestant l’existence d’une corrélation entre taux
de croissance et niveau des prélèvements obligatoires, on reconnaît de plus en
plus une corrélation très forte entre taux de prélèvements obligatoires et taux
de pauvreté. Il est largement admis que les pays où il y a le moins de pauvreté
sont ceux dont les prélèvements sont les plus élevés. Cela ne veut pas dire que
les prélèvements obligatoires constituent le seul facteur d’explication des
inégalités et de la pauvreté mais le taux de prélèvements obligatoires est l’un
des meilleurs indices du degré de solidarité nationale. On a d’ailleurs pu
mesurer précisément à quel point les transferts sociaux, dans les pays où ils
sont les plus importants, réduisaient la pauvreté et les inégalités. Par
ailleurs, il est important de souligner que trop de protection sociale réduirait
la motivation au travail.
A ce propos, il faut développer le débat public sur ce que nous payons pour
notre protection sociale et pour la production de services collectifs et sur la
qualité de ce que nous obtenons en échange, à la fois à titre individuel et
comme membres d’une société. Il s’agit, comme l’écrit Paul Krugman, de “savoir
dans quelle société nous voulons vivre”.
S’agissant des recettes fiscales (20% du PIB), elles résultent en majorité
d’impôts et de droits indirects qui ne se prêtent guère à une redistribution des
revenus. En effet, les impôts indirects constituent, de loin, la principale
source des recettes fiscales. Toutefois, cette répartition a connu un changement
très net depuis 1990. En effet, sur la période 1986-1990, les recettes fiscales
étaient réparties à hauteur de 79% en impôts indirects et 21% en impôts directs.
Durant les trois dernières années, cette répartition est de l’ordre de 60% pour
l’impôt indirect et 40% pour l’impôt direct.
(Voir Tableau)
Graphique 3 : Structure des recettes fiscales
Source : Ministère des finances
On notera qu’en Tunisie, l’impôt sur les sociétés est fixé à un taux de l’ordre
d’un tiers. Un jour sur trois, une société travaille pour l’État. Et pourtant,
le résultat est décevant. L’impôt sur les sociétés n’atteint que 15% des
recettes fiscales de l’État en moyenne sur la période 2000-2010. A l’inverse,
l’impôt sur le revenu représente environ 20% en moyenne des recettes fiscales
sur la même période.
En outre, force est de constater qu’à cause des généreuses incitations fiscales
à l’investissement, la part des recettes fiscales tirées des impôts sur le
revenu des personnes physiques est bien plus élevée que celle provenant des
entreprises.
Depuis longtemps et encore plus aujourd’hui, l’assiette de l’impôt sur les
sociétés est sérieusement érodée par les incitations fiscales.
Graphique 4 : Structure des impôts directs
Source : Ministère des finances
A l’appui de ces idées, il est fort à craindre qu’un fardeau fiscal élevé sur le
revenu du travail amoindrit le pouvoir d’achat du consommateur et pourrait
porter préjudice à l’équité du système fiscal et aux objectifs de répartition.
Dans cette perspective, il est également possible de mesurer le taux de
prélèvements obligatoires qui pèsent sur le facteur travail à travers la
différence entre le coût total pour l’employeur et le salaire net versé au
salarié après impôt. Bien que cette mesure comporte un certain nombre de
limites, cet indicateur, nommé sous le vocable de ” coin socio-fiscal “, est
économiquement très important dans la mesure où il reflète l’impact négatif des
prélèvements obligatoires sur les salaires par leur effet déprimant sur le
pouvoir d’achat.
L’évaluation du coin socio-fiscal en Tunisie, permet donc d’apprécier
l’incidence de la fiscalité sur le pouvoir d’achat. Il est calculé en exprimant
la somme de l’impôt sur le revenu, des cotisations de sécurité sociale à la
charge des salariés et des employeurs et des impôts sur les salaires en
pourcentage des coûts de main-d’œuvre. Nous avons ainsi calculé le coin
socio-fiscal portant sur le coût moyen de la main d’oeuvre sur la base des
données de comptabilité nationale.
Tableau 1 : Coût du travail moyen et coin socio-fiscal moyen
Pendant les deux dernières années, tant la part des salaires bruts que celle des
salaires nets apparaît inférieure à la part moyenne observée au cours des vingt
dernières années. Au total, le salaire net affiche une dégradation très nette
passant d’environ 80% en 1990 à seulement 72% en 2010. D’où une perte très nette
du pouvoir d’achat nominal d’environ 8 points de pourcentage, due, pour
l’essentiel, aux charges patronales et aux impôts sur les salaires.
Le graphique ci-dessous montre une augmentation constante du «coin
socio-fiscal».
Celui-ci a augmenté d’environ 8 points de pourcentage depuis 1990 dont un peu
plus de 2 points depuis 2000. Cette hausse réduit la compétitivité des
entreprises tunisiennes et aurait tendance à accroitre le chômage.
Graphique 5 : Coin socio-fiscal moyen en % des coûts de la main d’oeuvre4
Source : INS- compilation de l’auteur
Il convient toutefois de souligner que le financement de la protection sociale
introduit un écart entre le coût du travail et ce qu’il reste, in fine, au
salarié. Plus les dépenses publiques de protection sociale sont importantes,
plus ce «coin fiscal» tend également à l’être.
Graphique 6 : Cotisations sociales
Source : INS- compilation de l’auteur
En Tunisie, une très large fraction des prélèvements obligatoires inclus dans le
coin fiscal est, en fait, liée au financement des dépenses sociales publiques.
En effet, les cotisations de sécurité sociale – cotisations totales, à la charge
de l’employeur et à la charge du salarié.
4 Le coin socio-fiscal reflète l’écart entre le point de vue de l’employeur qui
s’intéresse au coût du travail et celui du salarié qui s’intéresse à son pouvoir
d’achat net des prélèvements.
(Voir tableau)
Coin socio-fiscal représentent en moyenne près de 15% des coûts du travail, soit
un peu plus que la moitié du coin fiscal total. De fait, au total, le graphique
6 fait apparaître une relation étroite entre le niveau du coin fiscal et les
cotisations sociales.
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